Merci dePassage. Un autre article ici :DePassage a écrit : Deux articles sur les réactions et suites depuis la diffusion du viol de Jeanne :
Le viol à l'écran, pour montrer l'horreur à tue-tête
http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/107 ... re-poirier
La scène de viol d’Unité 9 pourrait contrevenir au code de la CRTC
http://hollywoodpq.com/la-scene-de-viol ... e-la-crtc/
Un texte d'Anne-Marie Lecomte et d'Anouk Lebel
« Good girl ». C'est ce que le motard dit à Jeanne après l'avoir violée et après avoir forcé un « collègue » à faire de même. Le tout sous l'œil impassible d'un troisième colosse. Telle était la scène diffusée dans l'épisode de la télésérie Unité 9, mardi dernier. Doit-on ou pas montrer aussi crûment la violence sexuelle au petit écran?
Certains croient que les concepteurs ont eu raison d’être aussi explicites. D’autres trouvent qu’ils sont allés trop loin. Parmi ces derniers, la réalisatrice Anne Claire Poirier, qui a été « complètement bouleversée » devant son téléviseur.
Pourtant, il y a près de 40 ans, son long métrage Mourir à tue-tête avait été un coup de massue cinématographique montrant le viol pour ce qu’il est, c’est-à-dire « l’un des gestes les plus violents qui soient », comme le dit la cinéaste aujourd’hui octogénaire.
Qu’Anne Claire Poirier soit en colère devant sa télé, alors qu’elle-même a illustré éloquemment l’horreur du viol, témoigne de l’immense difficulté à représenter, par l’art, de grandes souffrances humaines. Et surtout à faire consensus sur la manière de le faire.
Entre les deux œuvres, l’une vouée au grand écran et l’autre au petit, il y a un lien. Anne Claire Poirier, pionnière du cinéma féminin et féministe, et le réalisateur d’Unité 9, Jean-Philippe Duval, qui, à 50 ans, se dit issu de la génération féministe, sont tous deux animés par la même volonté : dénoncer le viol.
Scène du film Mourir à tue-tête, d'Anne Claire Poirier, avec l'actrice Julie Vincent qu'on voit en gros plan et en noir et blanc, le regard triste et le visage meurtri de plaies.
Scène du film Mourir à tue-tête, d'Anne Claire Poirier, avec l'actrice Julie Vincent dans le rôle de Suzanne, une infirmière victime de viol Photo : Gracieuseté - Office national du film
Mourir à tue-tête a fait œuvre d’éducation dans les écoles du Québec, affirme Jean-Philippe Duval, qui l’avait vu à la fin de son secondaire. « J’ai été élevé avec ce film-là, je l’ai toujours gardé en tête », dit-il.
Dans ce docudrame d’une heure et demie produit par l’Office national du film (ONF), une jeune infirmière subit aux mains d’un homme un traumatisme si terrible qu’elle met fin à ses jours. Anne Claire Poirier avait décidé de tourner Mourir à tue-tête après avoir vu, dans des films « faits par des hommes », des scènes de viol dans lesquelles il manquait « un petit peu de violence ».
Je me suis dit : il est temps qu'une femme fasse un film sur la violence d'un viol.
Anne Claire Poirier, réalisatrice
Dans les mois qui ont suivi la sortie de Mourir à tue-tête, des policiers ont demandé à rencontrer la cinéaste. « Ils me disaient qu'ils n'étaient pas capables de croire les femmes qui se plaignaient [d'agressions sexuelles]. […] Ils ne savaient pas quand c'était vrai ou non. Et ils se sentaient gênés quand c'était vrai. »
Présenté en avant-première au Festival de Cannes, le film avait tellement choqué un journaliste que celui-ci avait affirmé n'avoir jamais reçu « de claque aussi forte au visage ». « Ce journaliste m'a dit : "J'étais en colère, j'ai pensé sortir [de la salle], mais heureusement, je suis resté. J'ai compris" », se souvient la cinéaste.
« Il faut que le spectateur soit engagé émotivement »
Au cinéma, le public a choisi d’être dans la salle, rappelle Anne Claire Poirier. La télévision, au contraire, rejoint les gens chez eux. À l’heure où a été diffusée la série Unité 9, dont les cotes d'écoute totalisent 1,5 million de téléspectateurs, « les enfants ne sont pas couchés » et bien qu’il faille parler de la violence pour tenter de l’éliminer, il ne faut pas en faire « un show », dit-elle.
Dans Unité 9, la scène de viol n’est pas un caprice de scénarisation, insiste Jean-Philippe Duval. Elle était dans les cartons dès le début de la télésérie produite par Aetios. Elle a finalement trouvé sa place dans la sixième saison. Et, oui, elle était dure, y compris pour le réalisateur qui a eu « beaucoup de difficulté à la tourner ».
Mais pour qu’une œuvre de fiction dénonce efficacement une réalité, dit Jean-Philippe Duval, « il faut que le spectateur soit engagé émotivement ».
De son côté, l’auteure Danielle Trottier affirme qu’un « déploiement d’histoire » s’en vient; les 12 épisodes à venir d’Unité 9 illustreront la force des femmes qui survivent à un viol.
« Radio-Canada a expliqué son choix dans plusieurs médias, rappelle Marc Pichette, premier directeur aux Communications. On continue de dire qu’à Unité 9, après six saisons, on parle de milieu carcéral, de vies très difficiles, sans complaisance. C’est une scène difficile, mais réaliste, et en lien avec la structure narrative du personnage de Jeanne. »
Pierre Barrette, professeur à l'École des médias de l'UQAM, constate que les créateurs en télévision ont de plus en plus tendance à repousser les frontières de ce qui est montrable, présentable. Pour un diffuseur comme Radio-Canada, le défi est de respecter les sensibilités tout en montrant « le visage répugnant de cette violence dans la réalité », affirme M. Barrette.
Art responsable ou censure?
Dans le quotidien Le Devoir, jeudi, est parue une lettre signée par un collectif de 80 personnes qui dénoncent un système dans lequel « certains artistes et chroniqueurs s'arrogent le droit de banaliser la violence sexuelle, voire de ridiculiser les personnes survivantes sur la place publique ».
Ces chroniqueurs, humoristes, auteurs ou encore intervenants auprès des victimes de violence s'engagent à jeter un regard critique sur leur travail afin de ne pas perpétuer la violence sexuelle. Et ils invitent l'ensemble des artistes à faire de même.
Inès Talbi, comédienne de 33 ans, est l'une des signataires de la lettre. Elle affirme avoir déjà refusé des projets en publicité parce que le scénario était « aberrant », rempli de vieux clichés ou de blagues de mauvais goût. Une autre signataire, Léa Stréliski, affirme que les artistes doivent se questionner : au nom de qui parle-t-on? Qui veut-on représenter, défendre? Quelle est notre intention? « Moi, je veux faire rire et réfléchir, et je me demande toujours si je suis sur ma ligne », explique cette humoriste.
Le cinéaste Robert Morin voit la situation d'un autre oeil. L'artiste, dit-il, « n'a pas à se poser ces questions-là ». « Je suis pour le laisser-faire. Je dis aux artistes : allez où vous voulez et faites ce que vous voulez, et assumez-en les conséquences », affirme-t-il.
On est en train de censurer le débat sur plusieurs choses, sous prétexte de création responsable.
Robert Morin, cinéaste
Dans le film Le problème d'infiltration, de Robert Morin, les acteurs Sandra Dumaresq et Christian Bégin se tiennent l'un derrière l'autre en arborant un sourire incertain.
Les acteurs Sandra Dumaresq et Christian Bégin dans le film Le problème d'infiltration de Robert Morin Photo : La Coop Vidéo de Montréal
Son plus récent film, Le problème d'infiltration, raconte la vie d'un médecin despotique qui voit son existence basculer. « C'est un mari qui viole sa femme. [...] Je ne l’ai pas fait violer quelqu’un pour le fun et je ne pense pas qu’on puisse faire ça si ça n’a pas une incidence, un sens, dans la dramatique comme telle. »
Enfin, Robert Morin s'étonne que la violence sexuelle à l'écran suscite tant d'indignation alors que le meurtre, lui, « ne dérange pas beaucoup les gens ». Un phénomène étrange, car « c'est quand même un gros crime de tuer quelqu'un », dit-il non sans ironie.
Encore un tabou?
L'été dernier, la professeure en cinéma de l'Université Laval Julie Beaulieu a vécu une expérience « douloureuse » lorsqu'elle a présenté le film Mourir à tue-tête dans le cadre d'un congrès en études féministes. Les participants, des professionnels et des étudiants de deuxième et troisième cycle, l'ont « très violemment attaquée verbalement », dit-elle.
« On m’a dit que ça ne se faisait pas, de présenter ça, que j’allais possiblement être la cause de cauchemars, de semaines complètement bouleversées pour les étudiantes dans la salle qui auraient pu subir ce traumatisme-là », relate-t-elle.
Julie Beaulieu en a conclu que le fait de représenter le viol dans l'art est encore tabou : « On veut bien en parler, mais on ne veut pas le montrer », dit-elle.
L'automne qui vient de s'écouler a été fertile en dénonciations, de l'inconduite sexuelle à la violence psychologique. « Oui, il y a un synchronisme absolument incroyable avec ce qui se passe cet automne et je dirais tant mieux », affirme Jean-Philippe Duval au sujet de la tourmente suscitée par cet épisode d'Unité 9.
Un éveil collectif, selon lui, qui consiste à dire non aux abus et oui au respect. Une tâche colossale pour les artistes : « Anne Claire Poirier l’a fait il y a 40 ans et on est encore là-dedans », conclut le réalisateur d'Unité 9.
« C’est toujours à recommencer.