tuberale a écrit : Les pro-vie veulent d'abord modeler les esprits
La promesse de Stephen Harper de ne pas rouvrir le débat sur l'avortement ne démonte pas les militants
Ottawa — Stephen Harper a promis de défaire tout projet de loi recriminalisant l'avortement que pourraient déposer ses députés d'arrière-banc, mais cela ne découragera pas pour autant le mouvement pro-vie de voter pour ses candidats.
Le mouvement compte sur une éventuelle majorité conservatrice pour annuler les subventions des groupes de gauche, privatiser Radio-Canada et ainsi rendre les esprits réceptifs au discours traditionaliste et antiavortement .
Le chef conservateur a catégoriquement écarté hier la possibilité que son gouvernement, majoritaire ou non, ouvre à nouveau l'épineux débat sur l'avortement au Canada. Non seulement s'est-il engagé à ne pas lui-même déposer de projet de loi en ce sens, ce qu'il avait déjà dit, mais il s'est aussi engagé à bloquer tout projet de loi qu'un député d'arrière-banc pourrait soumettre à la Chambre des communes.
«Tant et aussi longtemps que je serai le premier ministre, nous ne rouvrirons pas le débat sur l'avortement. Il y a eu un projet de loi privé au cours de la dernière année contre lequel j'ai voté et qui a été défait. Notre gouvernement ne présentera pas un tel projet de loi et, si un tel projet de loi devait être déposé, il serait défait.»
Pour être bien clair, il a ajouté: «Je ne rouvre pas ce débat. Je ne veux pas le rouvrir. Je n'ai pas voulu le rouvrir. Je ne l'ai pas rouvert en tant que premier ministre et je ne l'ouvrirai pas. Le public ne veut pas qu'on l'ouvre. Ce n'est pas une priorité pour le public canadien ou pour ce gouvernement, et ce ne le sera pas.»
Servir la cause
Les groupes pro-vie, généralement acquis au Parti conservateur, sont-ils déçus? Oui... et non. Le président de Campagne Québec-Vie, Georges Buscemi, estime que la contribution du gouvernement au débat sur l'avortement ne s'évalue pas seulement à l'aune de la législation déposée.
«Je vois certains bénéfices à voter conservateur quand même. Ils peuvent servir notre cause», explique-t-il en entrevue avec Le Devoir. Comment? En abolissant les subventions aux groupes de gauche ayant tendance à établir une adéquation entre droit à l'avortement et progrès ou encore faisant la promotion d'un certain relativisme familial. «Si on leur enlève les sous, ils peuvent avoir moins d'effet.»
Or, les conservateurs ont déjà commencé la tâche, se réjouit M. Buscemi en énumérant les victimes: la Commission du droit du Canada, le Programme de contestations judiciaires, les groupes féministes, les festivals gais de Montréal et de Toronto, Condition féminine Canada (fermeture de 12 de ses 16 bureaux), Planned Parenthood, qui offre des services de planification familiale et d'avortements. Sans compter l'antipathie générale des conservateurs envers Radio-Canada, que certains souhaitent privatiser.
«Il y a d'autres moyens de faire avancer certains dossiers que les projets de loi privés, qui de toute façon n'ont pas de chance de passer, ajoute le président de Campagne Québec-Vie. Les lois ne surviennent pas dans un vide. Ça vient d'une culture, de gens qui disent qu'ils en veulent.
Comment ces opinions sont-elles modelées, façonnées? Ça peut prendre une vingtaine d'années. [...]
Si certains groupes perdent leur subvention, si Radio-Canada, un pilier de la gauche, est moins subventionnée et que, de l'autre côté, il y a plus de SunTV News, qui est plus à droite, les opinions vont plus circuler, les citoyens seront plus exposés à ça. Ensuite, dans 10 ou 15 ans, les gens auront moins peur pendant une élection de parler de ce sujet-là. Et les gens seront plus prêts à accueillir [un projet de loi]. Ils auront assimilé les arguments.»
M. Buscemi a discuté récemment avec des membres qui songent à ne plus voter conservateur parce qu'ils se sentent instrumentalisés. Il tente de les convaincre d'attendre encore un peu. «J'attends qu'il ait sa majorité. Dès qu'il l'aura, ce sera le test. On verra ce qui va arriver. S'il n'y a pas grand-chose qui se passe, je pourrai dire "OK, on s'est fait avoir", mais il faut quand même l'essayer.»
L'état d'esprit est le même du côté du groupe traditionaliste REAL Women. M. Harper a-t-il tué dans l'oeuf toute possibilité de débattre la question de l'avortement? «Non, parce que les électeurs continuent d'élire des députés pro-vie», explique la porte-parole, Diane Watts .
Elle souligne que le caucus pro-vie sur la colline parlementaire compte désormais plus de députés que deux des partis officiels, le Nouveau Parti démocratique et le Bloc québécois. Il constitue une force qui ne peut plus être ignorée, dit-elle.
La directrice nationale de Campaign Life Coalition, Mary Ellen Douglas, renchérit. Son groupe «travaille très fort dès le début d'une campagne pour trouver le plus de candidats pro-vie possible».
Stephen Harper ne pourra pas les contrôler, malgré ce qu'il dit. «Il n'aura pas toujours le dernier mot. Les députés vont se tenir debout et prendre la parole. Il n'est pas le roi!»
Brad Trost
C'est une nouvelle publiée hier dans Le Devoir et le Toronto Star qui a forcé le chef conservateur à parler d'avortement. On y apprenait que le député sortant et candidat Brad Trost s'est vanté devant l'association pro-vie de la Saskatchewan d'avoir contribué à bloquer la subvention fédérale destinée à Planned Parenthood. Signe que la nouvelle dérangeait, le directeur des communications de M. Harper, Dimitri Soudas, a tenu un point de presse à 1h30 du matin à Terre-Neuve hier pour réagir à cette nouvelle.
Planned Parenthood avait sollicité en 2009 une subvention sur trois ans de 18 millions de dollars. Il n'a jamais obtenu de réponse de l'ACDI. La ministre responsable, Bev Oda, a diffusé un communiqué de presse hier indiquant que Planned Parenthood peut déposer une demande de financement dans le cadre de l'initiative de Muskoka sur la santé maternelle, lancée lors du G8 de 2010, et que si elle répond aux critères, «il y aura du financement». Seul hic: cette initiative exclut le financement d'avortements. Planned Parenthood a néanmoins déposé une demande en 2010 et attendait toujours une réponse en mars lorsque l'élection a été déclenchée. Le résultat sera quand même identique: les activités d'avortement de l'organisme ne seront plus financées par Ottawa.
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