Qu'aurait-on pu faire pour Olivier et Anne-Sophie ?
Le blogue de Maude Goyer
Jeudi, 05 mai 2011 11:09
En refermant la porte de la chambre de mes enfants, les larmes me sont montées aux yeux. Je me suis mordue les lèvres, j'ai retenu mes sanglots. Je suis allée au lit. J'ai eu du mal à m'endormir, hantée par les images et les propos entendus au reportage télé qui traitait du procès du docteur Guy Turcotte.
Le médecin est accusé d'avoir tué ses deux enfants, Olivier, 5 ans et Anne-Sophie, 3 ans, en février 2009. Les détails sont sordides, épouvantables. Je ne vous indique pas les hyperliens pour retrouver les textes de mon collègue David Santerre qui couvre l'affaire pour Rue Frontenac : l'histoire est insoutenable. Les faits sont si terribles que j'ai décidé de ne plus rien lire ou écouter à ce sujet. J'en suis tout simplement incapable.
Cette tragédie m'a poussé aux limites de ce que mon métier de journaliste me dicte : jamais je n'aurais pu couvrir ce procès. Ça aurait été au-dessus de mes forces.
Impuissante. Voilà comment je me sens quand je pense à ce qui s'est passé. Qu'aurait-on pu faire pour les enfants ? Aurait-on pu détecter quoi que ce soit ? Pour intervenir, encore faut-il percevoir quelque chose qui cloche. Un signe. Un vague pressentiment.
Responsabilité collective
Je me suis aussi demandée, parfois en pleine nuit, incapable de me rendormir, si nous avons le devoir, comme société, de protéger nos enfants. Ils sont l'avenir, ils sont notre chair et notre sang. Ils sont vulnérables. Ils sont à notre merci. Nous leur devons gentillesse, honnêteté, respect, écoute. Quelle est notre responsabilité, comme société, dans ce drame épouvantable ?
« Les enfants sont le symbole de tous ceux qui sont vulnérables dans notre société, m'a expliqué Rose-Marie Charest, présidente de l'Ordre des psychologues du Québec. Évidemment, tous les enfants ne nous appartiennent pas. Il n'y a pas de geste précis qu'on aurait pu poser.
« Mais je vous donne un exemple tiré du quotidien : si vous entrez dans un dépanneur et que vous voyez un enfant, seul, qui pleure, vous allez regarder autour, tenter de repérer le parent de cet enfant. Vous allez analyser la situation pour comprendre ce qui se passe. Ainsi il en est de notre responsabilité, comme collectivité, de tenter de protéger tous ceux qui sont plus vulnérables, ce qui inclut les enfants. »
Un échec
A-t-on échoué, dans ce cas précis, à venir en aide aux enfants ? Cette interrogation doit hanter la mère, les grands-parents, la gardienne, bref, tous les proches qui ont côtoyé le père désespéré dans les heures et les jours précédents la catastrophe...
« Je ne dis pas qu'on aurait pu faire quelque chose, concrètement, explique Mme Charest. Mais comme société, il faut prendre très au sérieux tous les débordements affectifs qui entourent les séparations. Il y a eu plusieurs cas, récemment, de drames familiaux, perprétés par les mères ou les pères, souvent à la suite d'une séparation. Je suis frappée par leur nombre et ça me fait particulièrement réfléchir. »
De l'aide pour les hommes
Connaissez-vous des campagnes de prévention et de sensibilisation destinés aux adultes en pleine séparation ? Peut-être quelques perches lancées aux femmes, oui c'est vrai. On y parle surtout de support, d'hébergement, d'aide financière... Mais pour les hommes ? Il n'y a pas si longtemps, dans un magazine féminin, j'ai abordé le sujet de l'aide apportée aux hommes, au Québec. Elle est rare. Et déficiente. Pourtant, selon un sondage fait dans le cadre de ce même reportage, 59,4% des Québécois* étaient d'avis que les ressources pour les hommes en détresse psychologique ou émotionnelle étaient insuffisantes.
Rose-Marie Charest est d'avis qu'il faut que les choses bougent : « On doit s'occuper de l'agressivité des hommes autant qu'on s'occupe de la tristesse des femmes lors des moments difficiles. Il ne faut pas porter de jugements sur les émotions ressenties par les uns ou les autres. »
J'ai repensé à une anecdote, survenue au CLSC de mon quartier : un homme, visiblement troublé et mal en point, parle un peu trop fort à la préposée. Il est agressif. L'employée appelle la police... L'agressivité, bien sûr, fait peur.
« L'agressivité fait souvent fuir, précise Mme Charest. Les hommes se retrouvent donc avec moins d'aide, ils sont de plus en plus isolés. »
Des actions
Que faut-il faire ?
Globalement, l'instauration de campagnes de sensibilisation qui parlent aux hommes seraient un pas dans la bonne direction, dit Mme Charest. Elle ajoute que « les hommes, entre eux, ont aussi un rôle à jouer, ils doivent s'entraider et valoriser cette entraide. »
Et que faut-il faire comme individu, lorsqu'on constate que quelque chose ne tourne pas rond chez un proche ?
« Les personnes qui ressentent de la rage et que cette rage semble débordante ont besoin d'aide, dit Rose-Marie Charest. Elle est à risque de porter un geste irréparable, surtout si elle est dépressive ou si elle a un trouble de personnalité. Il faut aller vers ces personnes sans attendre qu'elles nous demandent de l'aide. Il faut la protéger contre elle-même. »
Dans le cas d'Olivier et d'Anne-Sophie, il est trop tard. Mais il faudra décider, très tôt, collectivement, si nous avons des leçons à tirer de cette tragédie, aussi incompréhensible soit-elle.
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