Procès Guy Turcotte
Bon gars malade ou tueur de sang-froid?
Éric Thibault
26/06/2011 05h42
Le sort de Guy Turcotte se retrouvera bientôt entre les mains des jurés, qui entreprendront leurs délibérations au cours de la prochaine semaine.
Les 40 jours du procès du cardiologue, inculpé des meurtres prémédités de son fils de 5 ans, Olivier et de sa fille de 3 ans, Anne-Sophie, le 20 février 2009 à Piedmont, ont amené la Couronne et la défense à soumettre une preuve volumineuse et des arguments diamétralement opposés au jury chargé de juger l’homme de 39 ans.
Certains des 39 témoins entendus, dont Guy Turcotte lui-même, ont également permis de brosser un portrait de l’accusé. Un homme qu’ils connaissaient bien. Ou qu’ils croyaient bien connaître.
UNE JEUNESSE DE «NERD»
L’enfance de Guy Turcotte n’a pour lui, de son propre aveu. Peu sûr de lui et obligé de porter de grosses lunettes pour corriger ses problèmes de vision, il était la cible de mauvaises blagues de ses camarades de classe sur son apparence physique de « p’tit nerd ».
« J’étais le p’tit gars à lunettes qui se faisait niaiser et écoeurer par tout le monde. (Au secondaire), j’ai réussi à me débarrasser de mes lunettes. Ça m’a fait du bien », a-t-il témoigné.
Troisième d’une famille de six enfants, il a expliqué que les convictions religieuses étaient très importantes dans sa famille. C’est ainsi qu’il a dit avoir appris des valeurs telles la non violence, la générosité, l’humilité, la paix et la bonté envers son prochain.
« On allait à la messe tous les dimanches. Nous étions des catholiques très pratiquants », a-t-il dit, se considérant maintenant comme athée.
«J’étais cardiologue». C’est ce que l’accusé a répondu au tribunal quand on l’a appelé à décliner son occupation.
Une profession qui le passionnait.
Féru de biologie, il a étudié en sciences de la santé au collège Édouard-Montpetit dans l’espoir d’être admis dans une faculté de médecine, mais il a été refusé à l’Université de Montréal et à celle de Sherbrooke parce que ses notes n’étaient pas assez fortes.
L'Université Laval, qui l’avait placé sur une liste d’attente, l’a appelé quand une place s’est libérée, à 24 heures d’avis, pour y entreprendre 11 années d’études en médecine, puis en cardiologie, sa spécialité. C’est là, à Québec, qu’il a rencontré la future urgentologue Isabelle Gaston, en 1999.
Cofondateur du département d’insuffisance cardiaque à l’Hôtel- Dieu de Saint-Jérôme en 2007, il avait une haute estime de ses capacités professionnelles.
« Il avait érigé un barrage défensif pour se protéger de ses émotions. Il avait une tendance à la fuite en avant », a ajouté le Dr Jacques Talbot, son psychiatre à l’Institut Pinel.
«UN ATTELAGE DE CHATS»
Turcotte avait une vie de couple « dysfonctionnelle » avec Isabelle Gaston, au point d’être comparée à « un attelage de chats » par le psychiatre expert de la défense Roch-Hugo Bouchard.
« On s’est toujours chicanés », a rappelé son ex-conjointe. En 2007, après avoir songé à se séparer, Turcotte lui était tombé dans les bras, en larmes, en la suppliant de ne pas le laisser parce qu’il « ne passerait pas au travers » sans elle.
L’accusé a eu le coup de foudre pour la mère de ses deux enfants dès leur première rencontre, dans un bar de la Grande-Allée. « Je suis tombé en amour cette journée-là. Une belle fille, souriante, intelligente, pleine d’énergie, de leadership et d’entregent. Et beaucoup de charme. Je la trouve vraiment ‘hot’! Je suis surpris qu’elle puisse être attirée par un gars comme moi. »
« Il ne se prend pas pour n’importe qui. C’était un excellent cardiologue. Il disait être capable de réciter de mémoire un livre de médecine au complet ! », a relaté le Dr Jacques Talbot, qui fut son psychiatre traitant à l’Institut Pinel dans les mois suivant la tragédie.
UN «ÉMOTIF DÉFENSIF»
« J’ai de la difficulté à identifier mes problèmes et à trouver les solutions », a admis Guy Turcotte au sujet de sa personnalité d’« insécure ». Il préférait « bouder » dans son coin après une dispute conjugale, plutôt que de faire face à l’adversité. Sa difficulté à gérer ses émotions constituait « son point faible », d’après le Dr Sylvain Faucher, le psychiatre expert de la Couronne.
Il lui avait fait « la grande demande » au sommet du mont Washington, en pleine tempête de neige. « C’est là que je lui demande si elle veut se fiancer. J’avais apporté une petite bouteille de champagne. C’était super-romantique. »
Au lendemain du drame, à l’hôpital de Saint-Jérôme, Turcotte tenait des propos contradictoires qui illustraient la dualité de leur relation conjugale.
« Je l’aime, Isabelle. Je l’aime comme un fou ! », disait-il à l’infirmière Chantal Duhamel.
Avant d’ajouter : « Si tu savais ce qu’elle m’a fait endurer. Elle avait tout ce qu’elle voulait, elle faisait tout ce qu’elle voulait. Elle est trop méchante ».
UN «PÈRE AIMANT»
« Quand je suis avec mes enfants, je suis bien. C’est ma consolation. C’est là que je trouve du réconfort. L’amour inconditionnel, tu peux pas connaître ça avant d’avoir des enfants. Mes enfants, je les aime », a témoigné Guy Turcotte.
« Ses enfants, c’était sa vie, son refuge », a fait valoir la Dre Dominique Bourget, psychiatre experte en défense.
La mère de l’accusé, Marguerite Fournier l’a qualifié de « père présent, père aimant », en mentionnant que son fils évitait l’heure de pointe lorsqu’il conduisait ses enfants et qu’il ne buvait jamais plus qu’un verre de vin les soirs de soupers en famille afin de « rester disponible » pour eux en cas de besoin.
« Il aimait jouer avec les enfants. Il n’y avait pas de limite à son imagination. Il avait une patience qui me dépassait à certains moments. »
Patricia Giroux, l’ex-conjointe du nouvel amoureux d’Isabelle Gaston, a ajouté : « Je trouvais que c’était un modèle de père, à mes yeux. »
La mère des victimes ne l’a pas contredite. « Je ne lui aurais jamais laissé les enfants si je n’avais pas pensé qu’il était un bon papa. »
LA «CERISE SUR LE SUNDAE»
Isabelle Gaston dit avoir « baissé les bras » au sujet de sa vie de couple avec l’accusé lorsqu’elle a découvert, en 2008, qu’il regardait du matériel pornographique homosexuel sur Internet. Elle venait d’ouvrir l’ordinateur pour montrer des photos des enfants à une voisine quand elle est tombée sur les sites pornos gais visités par son conjoint.
« C’était aussi arrivé en 2001. Ç’a été la cerise sur le sundae », a-t-elle laissé tomber. Turcotte « est devenu fâché » lorsqu’elle l’a confronté. « Il disait : ‘Arrête avec ça ! Je suis pas gai !’ »
L’avocat de l’accusé, Me Pierre Poupart, a mentionné que « très honnêtement », il ne voyait « pas l’utilité » de ce détail dans le procès.
LA «DÉGRINGOLADE»
La séparation du couple, environ un mois avant le drame, a eu l’effet d’une « fracture », une « dégringolade » qui le menaçait de « tout perdre », selon la défense.
Incrédule devant les courriels passionnés que s’échangeaient à son insu sa conjointe et son nouvel amant, « il avait l’air démoli », a dit Patricia Giroux, l’ex-conjointe de Martin Huot, qui lui a fait découvrir le pot aux roses.
« Tu m’as volé ma femme, tu m’as volé mes enfants. T’es un ‘criss’ d’hypocrite. Tu disais que t’étais mon ami ! », a lancé Turcotte à Huot en voyant ce dernier dans « sa » maison, avant de lui asséner un coup de poing au visage, le 10 février 2009.
« Je vois ça comme si je me fais catapulter, expulser (hors) de ma famille. J’ai pas juste l’impression que ma femme me trompait, mais mon très bon ami aussi », a fait valoir Turcotte au sujet de l’incident, en ajoutant que « moi et Isabelle, on s’est jamais aimés de même ».
Lors d’une conversation téléphonique avec Isabelle Gaston, l’après-midi de la tragédie, il l’aurait mise en garde en ces termes :
«Tu veux la guerre ? Tu vas l’avoir ! »
Le soir même, Turcotte appelait sa mère et lui disait : « Isabelle a un chum, ça fait des semaines que ça dure. Ça se passait dans ma maison, dans mon lit. Te rends-tu compte, maman ? », a témoigné Marguerite Fournier, inquiète des propos de son fils ce soir-là, sans savoir qu’elle ne reverrait plus jamais ses petits-enfants vivants.
APRÈS LE DRAME
Le comportement de l’accusé après qu’il ait poignardé ses enfants constitue un aspect clé de la thèse de la Couronne, soit la préméditation des crimes reprochés. Il illustre aussi une facette déconcertante de la personnalité de Guy Turcotte, à la lumière des témoignages rendus par les gens de son entourage. À moins que ce ne soit le résultat du cocktail formé par sa maladie mentale, sa crise suicidaire et son intoxication au lave-glace.
« Occupez-vous pas de moi. Je veux mourir. J’ai tué mes enfants ! Je suis un criminel ! », hurlait Turcotte à l’hôpital, le 21 février 2009. « Ça s’peut pas. Dites-moi qu’il a un frère jumeau », s’est dit la Dre Marie-Pier Chartrand, au sujet de son ex-collègue de travail.
Dans les jours suivants, alors qu’il était détenu, Turcotte a mandaté ses parents pour récupérer un cadeau de Noël offert à Isabelle Gaston (des soins dans un spa) et a fait enlever celle-ci comme bénéficiaire de son assurance- vie.
À son ex-beau-frère Patrick Gaston qui lui suggérait de « tout donner » à la mère des victimes après ce qu’il avait fait, Turcotte a répondu : « Non, j’ai besoin de mon argent. J’ai 4 avocats qui travaillent pour moi. Même avec 50 % (du patrimoine familial), elle va être dans la rue ».
Puis, trois mois après son arrestation, Turcotte aurait dit ceci à son ex-conjointe, au téléphone : « Si je ne suis pas mort, c’est parce que je ne voulais pas te laisser l’argent de l’assurance (vie) et du testament. C’est parce que j’en avais pas le courage ».
Guy Turcotte plaide sa non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux. À Carole Lachance, qui a longtemps gardé les deux victimes et qu’il a appelée pour s’excuser, il a dit qu’à l’Institut psychiatrique Pinel, il était « le moins fou des fous ».
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