Affaire Guy Turcotte - Faire confiance à l'indépendance du jury
Marc-Antoine Cloutier, directeur général; Julien David Pelletier, directeur des projets jeunesse, Clinique juridique Juripop; Marie-Eve Trudel, directrice des services, Me Louise Boyd, avocate-conseil, et Maude Joyal Legault, stagiaire en droit, tous de la Clinique juridique Juripop
29 juillet 2011
Justice
L'indépendance dont jouit et dont doit jouir le milieu juridique est sévèrement entachée ces jours-ci. À la suite du verdict rendu dans l'affaire Guy Turcotte, la colère est palpable et le manque d'information populaire sur le système judiciaire est évident. En tant que représentants d'un organisme voué à la défense des droits et à la sensibilisation au monde de la justice, nous réagissons fortement aujourd'hui pour préserver l'intégrité ainsi que l'indépendance de notre système judiciaire et éviter un retour au tribunal du Moyen-Âge où la perception populaire pouvait avoir raison de la vie humaine.
La récente prise de position de deux adolescents, par la création d'une page Facebook sur cette question, suscite deux réflexions. La première: deux jeunes désirent participer au débat public, croient à leurs idées et veulent changer les choses, image d'une jeunesse active et mobilisée ayant un désir de savoir et de comprendre. D'un autre côté, cependant, une telle démarche dénote un manque d'information sur le fonctionnement des systèmes de justice canadien et québécois.
Dans l'affaire Turcotte, un jury de 11 personnes d'horizons différents (homme/femme, jeune/âgé, père/mère), à la suite d'un processus éprouvé et complexe, a conclu à un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause d'aliénation mentale alors qu'une présomption contraire jouait en faveur de la Couronne à l'ouverture du procès.
L'émoi que cette conclusion a provoqué chez certaines gens est palpable et, humainement parlant, compréhensible. L'affaire Turcotte vient en effet chercher la chair de la chair de la population québécoise et à première vue, tous peuvent avoir leur opinion. Suffit alors de bien comprendre les fondements et les principes qui guident notre système.
Fondements du système de justice
Selon une étude menée par l'Observatoire du droit à la justice de l'Université de Montréal, 80 % des Québécois disent ne rien comprendre à la loi. Au surplus, environ la moitié des Québécois disent ne pas faire confiance au système de justice. C'est à cette constatation qu'il faut accorder de l'importance, sans quoi nous risquons de retourner à une justice populaire que personne ne désire.
La séparation des pouvoirs sur laquelle repose notre système politique empêche justement de soumettre l'ensemble de la population à la vindicte populaire. Affirmer le contraire serait nier les fondements mêmes de notre démocratie, dont fait partie le droit à un procès juste et équitable. Des pages Facebook, telles que celle que nous dénonçons dans la présente, amènent plutôt à des réflexions et réactions émotives telles «À bas Turcotte!», «Pour le retour de la peine de mort!» et prônent un retour à l'Inquisition.
Évidemment, il y aura appel. La réponse sera simple: le verdict du jury tombera ou sera maintenu. Les juges de la Cour d'appel évalueront si le juge du procès aurait pu induire le jury en erreur, le menant à rendre un mauvais verdict. En ce cas, un autre procès aurait lieu, de nouveaux jurés seraient appelés et leur conclusion serait alors définitive. Voilà le système de justice que nous nous sommes donné, et ce dernier est sensiblement le même dans toute démocratie digne de ce nom.
Qui des 27 000 personnes membres de la page Facebook dont il est question a assisté au procès, a eu accès à toute la preuve, a pu saisir toute la complexité du dossier et ses subtilités? Personne. Seulement 11 personnes ont dû supporter ce fardeau et trancher. On peut être d'accord ou pas, être fâché du résultat, mais on ne peut certes pas remettre en question l'intégrité de ces honnêtes citoyens et s'improviser juge le temps d'une cause ou d'une journée passée sur Facebook. Il faut à tout prix éviter de revenir aux tribunaux d'époques anciennes où la justice était guidée par les préjugés, les sentiments et les impressions populaires.
Mépris des règles
La non-responsabilité criminelle pour aliénation mentale repose sur l'un de nos plus vieux principes juridiques, soit celui qui prescrit qu'une personne ne peut être emprisonnée ou jugée sévèrement si elle ne peut comprendre la nature du geste posé ou désirer ces conséquences. Il faut, pour être reconnu criminellement responsable, avoir eu l'intention réelle de commettre un crime, l'avoir fait et avoir eu la capacité de comprendre la nature de ses actes au moment où ils ont été posés.
Du moment où notre société s'appuie sur de tels principes fondamentaux, il faut laisser au jury toute l'indépendance nécessaire pour apprécier les dossiers et trancher dans le sens voulu. Il faut bien se garder d'une attitude qui cultive le mépris des règles de procédures faussement considérées comme favorables aux criminels.
Notre système judiciaire est reconnu et réputé comme l'un des meilleurs au monde. Il faut donc avoir confiance en lui, le laisser travailler, mais surtout améliorer la connaissance que nous en avons. Il est difficile de croire sans connaître. Sensibilisons-nous!
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