SAINT-JÉRÔME – Des enfants allant au lit sans avoir pris leur bain, revêtant leur pyjama très tôt et sans rouspéter: la routine du coucher d’Anne-Sophie et Olivier Turcotte le soir de leur meurtre n’avait rien d’habituelle. Signe que leur père Guy Turcotte préparait son coup ou plutôt, qu’il avait perdu la carte et ne savait plus ce qu’il faisait?
Voilà une des questions cruciales auxquelles le jury maintenant formé de 11 citoyens devra répondre pour déterminer si Guy Turcotte était en état de formuler l’intention de tuer ses enfants de trois et cinq ans le 21 février 2009, dans la demeure de Piedmont qu’il louait, depuis sa douloureuse rupture avec Isabelle Gaston, un mois plus tôt.
Car c’est en fait la seule question qui doit être examinée dans ce procès, puisque le cardiologue a déjà admis qu’il était bien l’auteur du carnage.
Souffrance décuplée
Le soir du 20 février donc, après s’être ridiculisé dans la matinée en faisant irruption dans son ancienne demeure de Prévost, croyant erronément y trouver le nouveau conjoint d’Isabelle Gaston seul avec ses enfants, Guy Turcotte a dit qu’il se trouvait dans un état de détresse d’une intensité jamais atteinte jusque-là.
Il était aussi préoccupé que son ex-conjointe l’ait présumément menacé de s’approprier la garde unique des enfants et qu'elle ait fait changer les serrures de la maison pour qu’il ne s’y pointe plus. C'était «la guerre».
«Ce vendredi soir-là, ma souffrance n’avait aucune commune mesure avec la souffrance des semaines précédentes, à cause de toutes les choses qui s'étaient rajoutées dans les derniers jours», a expliqué Turcotte, toujours contre-interrogé par la procureur de la couronne Me Claudia Carbonneau, après sept jours à la barre des témoins.
«Pour quelqu’un qui n’a jamais connu ça, qui n’a jamais contemplé le suicide, c’est difficile à comprendre», a-t-il poursuivi.
Il a raconté que ce soir-là, après la dispute téléphonique avec Isabelle Gaston, il est passé au club vidéo louer des films. Arrivé à la maison, il a mis dans le lecteur un DVD de Caillou. Il a préparé le souper et tous ont mangé en écoutant le dessin animé.
Le récit sur la suite des événements est confus.
Il jure avoir envoyé les enfants au lit vers 19h et avoir par la suite pris connaissance des 27 courriels échangés entre Isabelle Gaston et son nouvel amoureux, Martin Huot, qui était aussi un bon ami de Turcotte.
Mais l’expert en informatique de la Sûreté du Québec avait plutôt indiqué en début de procès que selon son examen de l’ordinateur de Turcotte, il avait consulté ces courriels, ainsi que des sites Web traitant de méthodes pour se suicider, entre 18h20 et 20h09.
Guy Turcotte dit pourtant être convaincu d’avoir couché ses enfants avant d’aller surfer sur Internet, mais convient qu’il ne les a probablement pas couchés avant 18h20.
Routine brisée
Mais peu importe l’heure à laquelle ils sont allés se coucher, la routine d’Anne-Sophie et Olivier n'a pas suivi son cours normal ce soir-là.
«Les enfants prenaient un bain tous les soirs. Je me suis rendu compte, il y a deux semaines lors du témoignage d’Isabelle Gaston, qu’ils n’avaient pas pris de bain ce soir-là», a-t-il laconiquement récité, sans plus d’explication.
Ensuite, les enfants sont allés au lit sans enfiler leur pyjama. Olivier était torse nu et Anne-Sophie sans pantalon. Elle avait généralement tendance à refuser de remettre son pantalon après être allé à la toilette, a affirmé l’accusé sur un ton évasif.
«Ce soir-là j’étais vidé et sans énergie. Quand j’ai vu Olivier se coucher (torse nu) j’ai dit bof, je n’ai pas envie de m’obstiner», a poursuivi le père.
Puis, il dit être allé consulter les fameux 27 courriels qu’il avait choisis d’ignorer auparavant.
«Je ne sais pas pourquoi j’ai fait ça. Ce n’est pas clair. Je n’aurais pas du faire ça», a-t-il encore sangloté.
Il dit que le désespoir a alors crû de façon importante en lui.
Il affirme ne pas se souvenir d’avoir appelé son courtier immobilier Martin Nolet et la gardienne Johanne Leclair, qu’il avait mandatée pour garder les enfants le lendemain.
Souvenirs «tatoués» dans le désordre
Il se souvient toutefois avoir tenté de se planter un long couteau sous le sternum mais s’être souvenu qu’Isabelle, urgentologue, lui avait déjà dit avoir sauvé un patient ainsi poignardé. Alors il s’est ravisé mais s'est quand même infligé une légère coupure. Et ce, malgré qu'il savait bien où se poignarder pour causer sa mort rapidement. Ce qu’il a admis.
Il se rappelle aussi avoir parlé à sa mère au téléphone et lui avoir dit «Je t’aime, je t’aime» alors qu’il se trouvait dans la salle de bain à l’étage de la demeure. Mais il ne croit pas que cela ait duré une heure comme l’a dit sa mère en début de procès.
Il dit ne pas se souvenir non plus s’il avait consommé du lave-glace au moment de ce coup de fil. Ni s’il avait déjà tué ses enfants.
Il dit avoir des bribes de souvenirs «tatoués», mais dans le désordre.
«Je me souviens être en train de boire du méthanol (lave-glace) quand je me rends compte que les enfants sont là et qu’ils vont me trouver mort. Je me voyais allongé, mort, mes enfants me voyaient mort. Là, je me suis dit je vais les amener avec moi», a-t-il mécaniquement récité une fois de plus.
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