Gémeaux: il ne manquait que «Fugueuse»
Richard Therrien
On attendait un triomphe de «Fugueuse», on a eu droit à celui de «Plan B» et de «District 31». L’Académie des Gémeaux ne s’est pas laissée impressionner par le raz-de-marée créé par la série de TVA, couronnant l’oeuvre de Séries+, aussi encensée par la critique. Ainsi, personne de «Fugueuse» n’est monté sur la scène de ce 33e gala, mené en solo par Jean-Philippe Wauthier, qui a su prouver qu’il n’avait besoin de personne pour bien performer.
La première surprise a eu lieu en début de gala, alors que Magalie Lépine-Blondeau a été préférée à Ludivine Reding (Fanny) pour sa convaincante interprétation dans Plan B. On avait visiblement sous-estimé les chances de la série, probablement parce qu’elle remontait à un an et demi. Une formidable publicité en vue de la deuxième saison, qui apparaîtra sur l’Extra d’ICI Tou.tv et ICI Radio-Canada Télé, cet automne.
Même pour le prix du public, Fugueuse s’est fait coiffer par District 31, l’autre phénomène en fiction cette année, qui a vu sa vedette masculine, Vincent-Guillaume Otis, monter sur scène. Par contre, Fugueuse a eu droit au seul segment variétés, franchement un des beaux moments de la soirée. Des survivantes d’exploitation sexuelle portant des pancartes «J’étais Fanny» se sont avancées sur scène, pendant la chanson d’Isabelle Boulay.
La série de Michelle Allen aura tout de même eu trois prix : celui du rôle de soutien à Claude Legault, remis l’après-midi sur ICI ARTV, et ceux du meilleur montage et de la meilleure distribution, remis jeudi, hors d’ondes. On sentait Ludivine Reding déçue, et nous l’étions aussi pour elle. C’était son année. En même temps, ce n’est pas gênant pour Magalie, incomparable dans Plan B. Bien sûr, le jury n’a pas à récompenser les œuvres les plus populaires, le Gala Artis s’en charge. Mais quand même, un trophée des pairs, ne serait-ce qu’un, aurait été bienvenu.
On se demandait bien comment Jean-Philippe Wauthier allait se débrouiller à l’animation, maintenant seul. À aucun moment, on n’a senti qu’il aurait eu besoin d’un acolyte. Le numéro d’ouverture à la façon d’En audition avec Simon, pour trouver un coanimateur, était tout à fait réussi. On entendait d’ailleurs la salle crouler de rire à chaque gag, particulièrement quand Gilbert Sicotte est apparu pour lancer : «Pas obligé de crier!» Et quand France Beaudoin, complètement furieuse, lançait une chaise à bouts de bras à ceux qui l’auditionnaient.
Puis, Wauthier nous a servi un monologue plus inégal, tout ce qu’il y a de plus cinglant, qui n’épargnait personne. On sentait qu’il y avait du Serge Denoncourt, metteur en scène du gala, là-dessous. L’animateur a aussitôt évacué l’absence d’Éric Salvail, se disant touché, «contrairement aux dernières années, où ce qui me touchait beaucoup, c’était mon coanimateur.» Un an, ça passe vite. «Guylaine Tremblay annonçait encore des voyages, Jean-Claude s’appelait encore Giovanni [Apollo] et le harcèlement sexuel était encore un style de gestion», a rappelé un Wauthier efficace dans sa livraison.
La salle est restée plus froide à ce moment. Les gags qui ont suscité le plus de grincements de dents concernaient Julie Snyder et les départs successifs des animateurs des Francs-tireurs. «Ça fait 20 ans et Richard [Martineau] a pas encore compris le message.»
Rien à redire sur les remerciements. Discours inspirant de Fabien Cloutier, l’unique Mike Pratt dans Faits divers, qui méritait son trophée du rôle masculin dans une série dramatique est venu les larmes aux yeux en parlant de ses enfants. Même émotion en voyant Magalie Lépine-Blondeau recevoir l’équivalent féminin pour Plan B.
Le roi des remerciements, Antoine Bertrand, l’a fait cette fois «en rimant». «Oui, je l’avoue, ce Gémeaux est bien beau, mais c’est pas lui qui me rend heureux. Il a sa place sur le manteau, et toi, dans mon cœur amoureux», a-t-il envoyé à sa douce, Catherine-Anne Toupin, après avoir gagné pour Boomerang.
Accueillie chaleureusement, Anick Lemay, qu’on voyait pour la première fois depuis l’annonce de son cancer, a profité de sa présence pour déplorer qu’on ne récompense pas les auteurs au gala du soir, en présence de l’auteure Caroline Allard.
Après avoir été récompensée pour ses textes et sa réalisation, Unité 9 a été sacrée meilleure série dramatique annuelle pour la quatrième année consécutive. La présence de District 31 n’a finalement pas brouillé les cartes autant qu’on le croyait. La série a néanmoins reçu le précieux prix du public et Vincent-Guillaume Otis, le prix du rôle masculin. Dans cette catégorie, Céline Bonnier a toutefois battu Magalie Lépine-Blondeau pour son rôle dans L’heure bleue.
Plusieurs artistes ont vécu leur baptême de Gémeaux hier, François Morency récompensé pour son animation du Gala Les Olivier, et Paul Arcand pour sa Conversation secrète avec Guy Lafleur. Premier Gémeaux amplement mérité pour Jean-Marie Lapointe, dont la très touchante série Face à la rue dépasse le cadre télévisuel. Son père Jean lui avait dit un jour: «T’as deux oreilles et une bouche. Écoute donc deux fois plus que tu parles.» Sage conseil qu’il suit avec cœur. Deuxième chance, une autre émission très émouvante, a remporté le prix de la série documentaire de société.
Plusieurs beaux moments dans cette soirée, dont celui offert par Véronique Béliveau, qui a repris le fameux thème de Radio-Québec, à l’occasion des 50 ans de l’antenne, devenue Télé-Québec. La chanteuse n’avait perdu ni de son charme, ni de sa voix. Je réclame un retour.
Neuf statuettes sont allées à des productions d’ICI Radio-Canada Télé, quatre à TVA, dont un à Moi et cie, deux à Séries+. J'ai bien aimé ces pubs de séries doublées, un beau flash à reprendre. L’équipe a eu le formidable clin d’oeil de demander à Mme Chagnon, célèbre depuis le débat des chefs, de conclure la soirée avec son néanmoins célèbre «pas tellement». Une soirée qui s’est donc déroulée rondement, mais qui aura peut-être laissé un goût amer aux fans de Fugueuse.
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