Procès: le Dr Turcotte était lucide à son arrivée à l'hôpital
Nouvelles générales - Justice
Écrit par David Santerre
Mardi, 26 avril 2011 14:25
Mise à jour le Mercredi, 27 avril 2011 08:54
SAINT-JÉRÔME – Non seulement l’urgentologue qui a traité Guy Turcotte à l’hôpital pense que son collègue semblait parfaitement lucide quelques heures après avoir poignardé ses enfants, mais elle a affirmé qu’il a même tenté de « négocier » ses aveux quant à la substance avec laquelle il avait essayé de s’enlever la vie en échange des résultats de ses examens sanguins.
C’est ce qu’a affirmé ce lundi matin la Dre Marie-Pier Chartrand, la jeune urgentologue en fonction le 21 février 2009 à l’Hôtel-Dieu de Saint-Jérôme, quand y a été amené le cardiologue Guy Turcotte accusé d'avoir poignardé à plusieurs reprises ses enfants, Olivier, cinq ans, et Anne-Sophie, trois ans, au cours des heures précédentes dans la résidence qu’il louait à Piedmont.
Selon ce qui ressort de la preuve entendue par le jury de sept femmes et cinq hommes depuis une semaine, Guy Turcotte n’aurait pas digéré sa récente rupture d’avec la mère de ses enfants, Isabelle Gaston, elle aussi médecin au même hôpital.
En défense, il tentera de faire la démonstration qu’au moment du meurtre, il était dans un état d’esprit si trouble qu’il ne pouvait réaliser ce qu’il faisait. Car d’emblée, par la voix de ses avocats, Mes Guy et Pierre Poupart, Turcotte a admis avoir bel et bien causé la mort de ses enfants.
Parfaitement lucide
Mais la Dre Chartrand estime qu’au moment où il a été amené à l’urgence parce qu’il était intoxiqué à la suite d’une tentative de suicide, il avait tous ses esprits.
« Son discours était très cohérent, il n’était pas délirant, il n’hallucinait pas. Sa seule contradiction a été de dire que son fils Olivier avait 10 ans », a raconté la jeune urgentologue lors du contre-interrogatoire de Me Pierre Poupart.
Elle a précisé, lors de l’interrogatoire principal mené par la procureure de la Couronne, Me Claudia Carbonneau, que sur l’échelle de Glasgow, qui mesure l’état de conscience selon divers indicateurs sur une échelle variant de trois à 15, elle lui avait donné une note de 15, la meilleure.
Comme l’ont fait avant elle d’autres membres du personnel de l’urgence de l’Hôtel-Dieu, elle a décrit la scène irréelle de l’arrivée du Dr Turcotte cet avant-midi-là. Tous savaient qu’un homme qui avait tué ses enfants et qui était intoxiqué était en route vers l’hôpital en ambulance, mais personne ne savait encore de qui il s’agissait.
« On a tous eu quelques secondes de déni. Voyons, ça ne pouvait pas être lui ! » s’est-elle remémoré. « Dites-moi qu’il a un frère jumeau et que c’est lui », s’est-elle-même dit dans sa tête.
Mais tous ont dû se rendre à l’évidence qu’il s’agissait bien de leur confrère de travail.
« On s’est alors dit qu’on allait en faire abstraction, qu’on allait oublier qui il était, quelle était sa situation et qu’on allait le soigner, c’est tout », affirme le médecin.
Mensonge, manipulation, négociation
Au départ, Marcotte lui a affirmé qu’il avait avalé une quantité indéterminée de Tylenol, ce qui était faux comme allaient le révéler les examens sanguins. Ceux-ci ont plutôt démontré un pH et un taux de bicarbonate sanguins compatibles avec une intoxication au méthanol.
Quand la Dre Chartrand est retournée voir le cardiologue, elle s’est faite plus incisive et lui a demandé ce qu’il avait vraiment pris.
« Il m’a dit qu’il allait me le dire seulement si je lui donnais les résultats de son pH et de ses bic (bicarbonates). Je les lui ai dits et il s’est mis à pleurer. Puis il m’a avoué avoir pris deux litres de lave glace.»
Il a aussi insisté à plusieurs reprises pour qu’elle ne le soigne pas et le laisse mourir, lui indiquant qu’il avait droit à un refus de traitement. Puis il l’a flattée sur ses qualités professionnelles.
« Il a négocié ses résultats de labo contre ses aveux sur la substance consommée. Il faisait de la manipulation quand il parlait de mes qualités en cherchant ensuite à obtenir que je ne le traite pas. Il était lucide, il jouait avec mes émotions », a résumé Marie-Pier Chartrand, qui a expliqué pourquoi elle l’a malgré tout traité, son état étant tout de même sérieux et pouvant même se conclure sinon par la mort, du moins par la cécité.
« J’ai jugé que son jugement n’était pas celui qu’il aurait eu en situation normale et que son refus de traitement n’était pas valide. Il avait tué ses enfants, et il était en détresse psychologique et en situation de crise à cause de ça », a-t-elle conclu.
Traitement objectif
C’est d’ailleurs en partie à cause de cette tentative de « manipulation » qu’elle a ordonné son transfert plus tard à l’Hôpital du Sacré-Cœur à Montréal.
« Sa situation, au point de vue médical, pouvait être gérée chez nous. Ce qu’on ne pouvait gérer, c’était de s’occuper d’un confrère respecté en pareille situation. Son arrivée a bouleversé l’hôpital au complet. On voulait qu’il soit traité par des gens plus objectifs », a-t-elle encore expliqué.
Comme tous les autres employés de l’urgence, elle a affirmé avoir reçu des aveux de Guy Turcotte en présence de la policière Caroline Thibault, chargée de le surveiller, qui prenait des notes mais qui ne disait mot.
« Il a dit que c’était effrayant, ce qu’il avait fait ; qu’il aimait ses enfants, qu’il était un bon papa et qu’il s’excusait auprès du personnel de lui faire vivre ça. Il a aussi dit qu’il ne voulait pas voir Isabelle, qu’elle était trop méchante, que c’était une bitch », a rapporté la jeune urgentologue.
« Après la Dre Chartrand, la policière de la Sûreté du Québec à laquelle a été intégrée la Régie de police de la Rivière-du-Nord à l'époque du crime, Caroline Thibeault, s'est présentée à la barre des témoins.
Son récit marqué par des trous de mémoire confirme qu'elle était présente lorsque le Dr Turcotte faisait de nombreux aveux aux ambulanciers, préposés aux bénéficiaires, médecin et infirmières.
Elle a affirmé toutefois avoir rappelé à l'homme qu'il était en état d'arrestation, avait le droit de garder le silence et de consulter un avocat.
http://www.ruefrontenac.com/nouvelles-g ... te-enfants" onclick="window.open(this.href);return false;