Batailler pour le droit de se laisser mourir
La détenue Sonia Blanchette est morte d’une grève de la faim qu’on lui avait d’abord refusée
Sonia Blanchette était en droit de se laisser mourir en prison malgré les accusations d’infanticide qui pesaient contre elle. Son avocat, Jean-Pierre Ménard, fustige les Services correctionnels du Québec et l’Institut Philippe-Pinel pour ne pas l’avoir compris à temps.
L’affaire est d’une rare complexité. Les détenus qui choisissent de se laisser mourir en prison, en refusant tout traitement médical comme l’a fait Mme Blanchette, ne courent pas les rues.
En neuf ans de carrière en droit carcéral, l’une de ses avocates, Isabel Simao, n’a rien vu de semblable.
Sonia Blanchette était saine d’esprit lorsqu’elle a entrepris une grève de la faim, au début du mois de décembre. Les Services correctionnels et l’Institut Philippe-Pinel ont tous les deux tenté de l’en empêcher, en l’alimentant de force.
Sonia Blanchette a dû compter sur l’aide de Jean-Pierre Ménard et Julie-Kim Godin, deux avocats spécialisés en droit de la santé, pour parvenir à ses fins.
Me Ménard et Me Godin ont acheminé des mises en demeure à l’Institut Philippe-Pinel, à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont et à la prison Tanguay pour que les volontés de Sonia Blanchette soient respectées.
«Indigne »
Me Ménard est scandalisé par l’attitude de l’Institut Philippe-Pinel et de la prison Tanguay. « Ils l’ont traitée contre son gré. C’est indigne, lance-t-il. On lui a clairement enlevé une partie de son humanité en ne la respectant pas. »
Avant de mourir, Sonia Blanchette a relevé Me Ménard du secret professionnel, afin que son histoire puisse servir de leçon.
Celui-ci s’est dit estomaqué par les violations des droits médicaux qui ont cours dans le milieu carcéral. Si la prison Tanguay et l’Institut Philippe-Pinel s’étaient renseignés sur la jurisprudence en la matière, ils n’auraient pas tenté de sauver Sonia Blanchette contre son gré, dit-il.
« La qualité des soins en milieu carcéral, ça laisse énormément à désirer », observe Me Ménard.
Elle a craqué
Sonia Blanchette était détenue à la prison Tanguay dans l’attente de son procès pour le meurtre de ses trois enfants (Lorélie, cinq ans, Loïc, quatre ans, et Anaïs, deux ans), qui avaient été noyés le 2 décembre 2012.
En octobre 2013, elle avait été jugée apte à subir son procès, qui devait commencer en 2016 seulement. Elle risquait la prison à vie, sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans.
Mme Blanchette refusait de manger et de boire, avec l’intention assumée de mourir. Un suicide à petit feu. Avant d’entreprendre sa grève de la faim, elle avait par ailleurs indiqué qu’elle refusait tout traitement.
« Je l’ai accompagnée là-dedans, a expliqué Me Simao. Elle était saine d’esprit. »
Selon Me Simao, Sonia Blanchette « a craqué » en prison. Ses droits de visite étaient limités. Elle avait perdu le droit de fréquenter un quatrième enfant, né pendant qu’elle était détention préventive. Les soins de santé auxquels elle avait accès étaient réduits au strict minimum. Les délais s’accumulaient dans sa cause, en raison de sa décision de changer d’avocat à plus d’une reprise.
« Les conditions de détention ont définitivement miné son moral », a dit Me Simao.
Rongée par le sentiment de culpabilité, et incapable de supporter la perspective d’une incarcération prolongée, elle a décidé de mettre fin à ses jours. « Elle ne voyait pas l’intérêt de continuer à vivre », résume Me Ménard. Elle pesait environ 36 kilos lorsqu’elle a été admise à l’hôpital Sacré-Coeur, où elle a rendu l’âme dans la nuit de jeudi à vendredi.
Elle devait être à la cour, vendredi, pour fixer la date exacte de son procès.
Un droit reconnu
En droit médical, un patient peut refuser de recevoir des soins pour autant qu’il soit adulte et apte à fournir un consentement. « La notion d’aptitude, ça ne veut pas dire qu’on doit prendre une bonne décision. On peut prendre une décision qui est contraire à son meilleur intérêt », explique Me Ménard.
Celui-ci parle en connaissance de cause. Il était l’un des trois experts retenus par l’Assemblée nationale pour faire l’analyse juridique du projet de loi pour mourir dans la dignité.
Depuis l’affaire Corbeil, en 1992, les tribunaux reconnaissent à une personne le droit de faire une grève de la faim et de se laisser mourir. À partir du moment où la personne est consciente, équilibrée et lucide, l’État n’a pas à intervenir pour limiter ou contrecarrer ce choix.
Selon Me Ménard, Sonia Blanchette a fait l’objet d’une évaluation en bonne et due forme. Elle était en possession de ses moyens lorsqu’elle a pris la décision d’en finir avec la vie.
Un porte-parole du ministère de la Sécurité publique, Clément Falardeau, a joué de prudence dans ses commentaires, en refusant de traiter du cas précis de Sonia Blanchette. « Le rôle du ministère de la Sécurité publique, c’est d’assurer l’encadrement et la surveillance de la personne incarcérée », a-t-il dit sans élaborer.
Du côté de l’Institut Philippe-Pinel, la porte-parole, Julie Benjamin, a aussi refusé de commenter le cas particulier de Sonia Blanchette, par souci de préserver la confidentialité des dossiers médicaux.
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