Voici la transcription que j’ai faite de l’entrevue que Josianne a donnée le 25 août. J'ai omis les quelques "Emm".
(PAUL HOUDE fait l’intro de l’entrevue qui a été réalisée par Roch Cholette de CKOI 104,7 à Gatineau, explique qu’ils ont décidé de retirer quelques extraits où Josianne décrit de façon très explicite l’état du corps et bien d’autres détails qui leur apparaissaient un peu sordides, donne la parole à Roch Cholette qui explique comment il a pu s’entretenir avec Josianne et on passe ensuite l’entrevue.)
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ROCH CHOLETTE: Si j’ai bien compris, t’es allée prendre une marche dans le parc de la Gatineau?
JOSIANNE : Oui. Donc premièrement, j’étais avec un de mes collègues de classe de chimie et de physique. On terminait nos cours à 9h30 le matin, puis on a décidé d’aller prendre une marche dans les sentiers du parc de la Gatineau derrière l’école, puis on marche dans le sentier pédestre, puis quand on recroise la trail dans le fond qui menait dans la forêt, mon ami Kyle il a eu une genre… un inconfort. Il m’a dit : «Je suis vraiment curieux. Je veux aller voir c’est quoi qui brûlait», parce que durant mon cours, j’ai réfléchi puis on n’a plus le droit de faire de feu dans le parc de la Gatineau.
R.C. : Il était vers midi, là?
J. : Oui, il était à peu près… Non. A ce moment-là, il était rendu à peu près 1h, 1h15.
R.C. : D’accord.
J. : Donc on va dans le sentier puis… Dans le fond, il y avait Dominic et Kaylee(?) avec moi. Je marchais avec Kaylee(?), puis Dominic et Kyle marchaient devant nous, puis ils s’avancent puis ils disent : «Je pense que je vois une main», puis Dominic il rajoute, il dit : «Oui, je pense que je vois de la peau.» Ça fait que là les deux gars courent vers ce qu’ils voient, puis j’étais avec Kaylee(?) puis on disait : « Mon dieu, c’est pas possible comme que ça nous arrive», puis finalement on entend juste Dominic nous dire : «C’est correct, les filles, venez. C’est juste, c’est juste une mise en situation. C’est juste un mannequin.»
Là nous autres on est curieuses. Ça fait qu’on s’approche, puis effectivement la scène était tellement caricaturale que ç’avait l’air totalement faux. La victime, dans le fond, était probablement morte depuis, depuis le matin, puis nous on s’était dit : «C’est sûr que si c’est une mise en situation, ça doit être la technique policière», parce qu’il y a la technique policière au campus Gabrielle-Roy.
R.C. : Oui. Josianne, pourquoi tu me dis que ç’avait de l’air faux? Qu’est-ce qui t’as fait dire que ç’avait de l’air faux cette scène-là?
J. : Parce que, dans le fond, c’était, c’était vraiment caricatural de ce que tu peux te faire raconter des obscénités qui peuvent, qui peuvent fréquemment arriver au… Ç’avait l’air, dans le fond, d’une publicité choc. Je sais pas si…
R.C. : A ce point-là?
J. : A ce point-là. On est arrivés –
R.C. : Là, je veux pas trop de détails, mais quand vous êtes arrivés, le corps était par terre, face première. Est-ce que vous avez reconnu cette fille-là?
J. : Non, on l’a pas reconnue parce que l’agresseur avait aspergé la victime de gas puis avait probablement pensé qu’en l’aspergeant d’essence, le corps brûlerait complètement, mais habituellement, non, quand tu mets de la gasoline sur quelque chose pour le faire brûler, ça fait juste le faire flamber puis ça brûle pas complètement.
Donc, ses vêtements avaient… bien, les vêtements qui lui restaient, dans le fond, parce que la victime était pratiquement nue, ils avaient un peu comme collés après sa peau puis ç’avait donné une texture de plastique un peu, puis son visage était contre le sol, mais face tournée. Ça fait qu’on aurait pu voir la moitié de son visage, mais ses cheveux étaient brûlés par-dessus. Donc on voyait mal les traits de son visage. Donc on aurait pas pu la reconnaître.
R.C. : Les deux gars qui sont arrivés lui ont pas touché?
J. : Oui. Le réflexe qu’on a eu, ç’a été effectivement de toucher la victime. Donc on a mis nos empreintes dessus, on en était conscients, mais c’est que nous autres, dans le fond, on était convaincus que c’était une mise en situation parce que ça faisait pas longtemps que le cégep était commencé, puis tous les programmes ont des activités d’intégration. Ça fait qu’on se disait que –
R.C. : Je comprends. Josianne, je veux revenir. Tu viens de me dire quelque chose d’important. Tu me dis… Écoute, c’est arrivé hier. Tu me dis : «On a mis nos empreintes dessus. On était conscients.» T’étais consciente de quoi?
J. : Bien, on était conscientes qu’on touchait le mannequin, là.
R.C. : Oui?
J. : On était convaincus que c’était un mannequin à première vue.
R.C. : O.K., mais tu t’es pas dit à ce moment-là : «Hey, je suis en train de laisser une marque qui pourrait m’incriminer?» C’est pas ça que tu t’es dit?
J. : Non, on s’est pas dit ça sur le coup, mais c’est sûr qu’en me le disant je me suis dit : « Dans le fond, si c’est un vrai, on va vraiment être dans, dans, dans de beaux draps», si je soigne mon langage, pour pas dire être vraiment dans la marde.
R.C. : Oui?
J. : Mais, mais c’est ça, dans le fond, c’était totalement fictif, nous autres. C’était vraiment loin d’être une scène de crime. C’était juste, dans le fond, un songe(?) qui nous disait, comme, «Si mettons que c’est un vrai, on va vraiment être…»
R.C. : Là vous étiez quatre?
J. : On était quatre à ce moment-là.
R.C. : Et puis là vous êtes convaincus, là, que c’est pas une vraie personne?
J. : Non, non, puis dans le fond… Non, parce que ça sentait… Parce qu’il y avait encore un petit peu de flammes puis la fumée qui se dégageait du corps de la victime avait pas une odeur de feu normale, mais ça sentait… Nous autres on est des jeunes, on n’est pas habitués de sentir ça. Ça sentait, ça sentait comme du plastique qui fond dans le feu.
R.C. : O.K. Puis là, il arrive quoi? Parce que ce que j’ai compris, c’est que vous avez pas appelé le 911, là?
J. : Non, on avait pas appelé le 911 encore.
R.C. : Est-ce que vous êtes allés voir les autorités du cégep pour dire : «C’est pas mal vrai votre affaire derrière»? Non?
J. : Ç’a pris, ç’a pris du temps avant qu’on ait le réflexe d’aller voir le, les techniciens de la technique policière.
R.C. : Oui?
J. : Ç’a été long parce qu’on était dans le bois, puis on était les quatre, puis on… T’sais, dans le fond, on s’était dit : «O.K., c’est correct, c’est une mise en situation. On va aller plus loin.» Donc on est partis, mais t’sais, il reste toujours le doute, puis on se sentait mal à l’idée de voir ça pareil. Ça fait qu’on est retournés pas mal chacun notre tour pour constater, essayer de constater, la tête rafraîchie, les idées comme calmées, essayer vraiment de déchiffrer comme des indices nous permettant mettons de savoir si c’était vrai ou si c’était faux. Ça fait que ç’a pris du temps. Ç’a pris quand même un assez gros lapse de temps, je dirais peut-être une vingtaine, trentaine de minutes avant qu’on sente vraiment un inconfort à être dans la forêt.
R.C. : Oui?
J. : Puis… Donc on est repartis. Les deux amis qui sont venus nous rejoindre au collège, qui étaient pas d’ici, sont repartis, puis c’est là que Kyle puis moi, le gars avec qui qu’on était… que j’étais le matin, on s’est dit : «On va aller demander à la technique policière c’est quoi qui se passe dans le bois, là. Ç’a l’air trop réel.»
R.C. : Là il est vers quelle heure, là?
J. : Il est rendu à peu près 3h, 3h15.
R.C. : O.K., 15h15, c’est beau.
J. : Oui.
R.C. : Puis là tu t’en vas à la technique policière puis tu t’en vas leur dire : «C’est pas mal beau votre scène de crime», dans le sens que c’est réel?
J. : Dans le fond, non, parce qu’en arrivant devant la porte, j’ai regardé mon ami dans les yeux puis j’y ai dit : «C’est pas là qu’il faut qu’on… c’est pas là qu’il faut qu’on aille.» J’ai dit : «Au pire, on appelle le 911 puis ils vont juste nous trouver caves d’avoir pensé que c’était un mannequin», puis… Donc… Juste au moment où est-ce que je disais ça, il y a une autre de mes amies qui est venue nous rejoindre, puis j’y ai expliqué la situation, puis j’ai dit : « Avant que je fasse… que je signale le 911», parce que, veut, veut pas, ça me stressait parce qu’on avait quand même mis nos empreintes dessus.
R.C. : Oui.
J. : Puis on voulait pas être accusés pour un viol, un meurtre, puis peu importe. Ça fait que j’ai dit : «Là je vas t’amener dans le bois, je vas te le montrer, puis je veux que tu me dises si ç’a l’air… si selon toi c’est un mannequin ou si c’est un cadavre.» Donc on est retournés, dans le fond, à la place, mais on n’était même pas arrivés au… à la trail pour rentrer dans la forêt que j’avais déjà signalé.
R.C. : D’accord.
J. : Donc moi je suis pas rentrée dans la forêt à ce moment-là.
R.C. : Je veux comprendre, Josianne. C’est toi qui a pris ton cellulaire à toi?
J. : Oui, j’ai pris mon cellulaire à moi.
R.C. : Puis t’as signalé le 911?
J. : Oui.
R.C. : Et là t’as dit : «J’ai trouvé… »?
J. : J’ai dit : «Je pense qu’on a trouvé le cadavre d’une jeune fille en arrière du campus Gabrielle-Roy.»
R.C. : D’accord, et là qu’est-ce qui est arrivé?
J. : Pendant le temps que je parlais à la technicienne du 911, les deux autres personnes avec qui j’étais sont entrées dans le bois parce que Kyle voulait vraiment montrer à mon amie l’endroit exact, puis ç’a même pas pris deux minutes qu’ils sont ressortis puis mon amie elle pleurait puis elle a dit : «T’as bien fait d’appeler parce que ça sent plus juste le plastique, là, puis ç’a vraiment l’air trop réel.»
R.C. : Et là les policiers sont arrivés?
J. : Les policiers sont arrivés puis c’est quand t’as vu le… c’est quand qu’on a vu la réaction des policiers, Kyle puis moi, qu’on s’est vraiment sentis mal parce que les policiers sont entrés, sont entrés en fou dans la forêt, à la course, puis quand qu’ils ont vu l’état de la victime, il y en a un qui… je sais qu’il y en a un qui se retenait pour, pour pas vomir. Il y en a un qui en croyait pas ses yeux. Il y en a une que je l’ai entendue appeler un de ses collègues puis dire : «Amène ben du tape parce que c’est vraiment une grosse scène de crime.»
Le fardeau qu’on porte Kyle puis moi puis probablement Kaylee(?) puis Dominic aussi, c’est... On aurait dû juste appeler, peu importe ce qu’on… Même si c’était juste un mannequin, on aurait dû appeler comme avant. C’est vraiment le, le gros fardeau qu’on porte présentement aussi, mais d’un autre côté, ce qui avait été fait était fait. Ç’aurait juste pu faciliter l’enquête, c’est sûr, mais les preuves sont encore là. Les preuves sont encore… Il y avait… Je veux dire, malgré nos empreintes qui étaient sur la victime, il y avait… il y a de fortes, de fortes chances que les policiers puissent trouver des preuves assez évidentes, des indices assez évidents sur l’identité de l’agresseur aussi.
R.C. : C’est pas une journée facile, Josianne.
J. : Non. C’est sûr que pour une deuxième journée au collège, ça, ça commence, ça commence drôle un peu, là.
R.C. : Puis vous vous sentez drôle dans ça. Vous sentez que vous auriez dû appeler plus vite, mais d’un autre côté, ç’aurait pas changé grand-chose.
J. : Ç’aurait pu faciliter l’enquête, c’est sûr, parce que la victime… les jambes de la victime auraient pu être moins brûlées par les flammes qui se dégageaient faiblement à ce moment-là, mais par contre, le reste de son corps était encore intact, puis c’est triste à dire, mais dans la position où la victime était placée, il y a encore des endroits sur son corps qui sont sujets à être vérifiés par les policiers pour trouver l’identité de l’agresseur. Dans le fond, c’est clair qu’il y avait plus de signes de vie sur cette personne-là. On n’est pas médecins, mais on n’est pas caves non plus, là.
R.C. : C’est une image qui va te rester, ça, Josianne.
J. : Malheureusement, oui, c’est une image qu’on va porter dans notre mémoire assez… probablement pour le reste de notre vie aussi à moi puis mes trois amis.
R.C. : Josianne, à l’arrivée des policiers ou depuis ce temps-là, est-ce qu’ils vous ont interrogés? Est-ce qu’ils ont pris vos empreintes?
J. : Nos empreintes vont être recueillies prochainement parce que… On a été interrogés, oui, effectivement pendant très longtemps. On a été amenés au poste de 4h de l’après-midi, puis moi j’étais… j’étais même pas la dernière, pardon, à sortir. Il restait Kyle encore en interrogatoire à ce moment-là puis il était rendu pas loin de 11h le soir. Donc on s’est fait interroger pendant plus, plus de six heures, plus de cinq heures dans le fond.
R.C. : Ç’a dû être éprouvant, ça?
J. : C’est sûr que c’est éprouvant, puis suite à nos interrogatoires, on n’est pas suspects. Donc on est témoins officiels de cette enquête-là. Donc c’est sûr que si l’agresseur est trouvé, il va y avoir des procédures juridiques qui vont être entamées puis ça va être nous quatre, peut-être même nous cinq si on compte Jessie (J.C.?) qui est venue nous rejoindre par après, qui vont être les témoins officiels de cette enquête-là, du procès.
R.C. : Est-ce que toi, tu la connaissais cette fille-là?
J. : Je connaissais pas la victime, malheureusement. Bien, peut-être pas «malheureusement» parce que ç’aurait été probablement pire si je l’avais connue, mais non, je la connaissais pas.
R.C. : Mais ça rend pas la chose plus facile.
J. : Ça rend pas la chose plus facile, non, c’est clair.
R.C. : Puis t’es au cégep aujourd’hui quand même?
J. : Oui. J’avais pas de cours hier. Donc d’un côté, ça tombait bien, mais je suis revenue quand même avec Dominic parce qu’on voulait… On était au courant qu’il allait y avoir une enquête, une enquête sur la scène, puis on voulait parler avec un sergent-détective pour, juste pour nous rassurer, comme : Est-ce qu’ils avaient trouvé d’autres preuves? Est-ce qu’ils avaient trouvé un suspect ou quelque chose? On voulait être certains de ça. Donc on est revenus, mais ç’a pas pris de temps, on est repartis. J’avais pas de cours puis (incompréhensible) collège non plus. Mais je suis venue à mes cours ce matin puis, effectivement, je pensais pas que c’était pour être difficile, mais c’est, c’est intensément difficile de se concentrer quand t’as des images qui te reviennent dans la tête puis que t’essaies de te concentrer sur un cours de chimie ou de physique.
R.C. : Tu sais, Josianne, qu’il y a un service d’aide au cégep?
J. : Ah non, c’est clair, on a été mis au courant. Je (incompréhensible) qu’on a été mis sur une liste d’attente pour ce programme d’aide aux étudiants-là, mais –
R.C. : Sur une liste d’attente?
J. : Bien, on sait pas si c’est une liste d’attente, mais on a parlé avec un agent de la sécurité puis ils sont au courant. Ils connaissent nos noms puis ils sont prêts à nous rencontrer.
R.C. : D’accord. Bien, je veux te dire, Josianne, premièrement, merci d’avoir partagé ça avec nous. Moi je te trouve très forte.
J. : Bien, merci.
R.C. : Puis je te souhaite un bon courage parce que le drame est horrible, mais ce que tu as vécu aussi est difficile.
J. : Bien, c’est clair, c’est difficile pour nous, mais ça doit être pénible pour la famille de cette victime-là.
R.C. : C’est sûr.
J. : Comme que j’expliquais plus tôt à quelqu’un, pour cette famille-là c’est tout un univers qui cesse de tourner autour d’eux, puis autour de nous aussi c’est un événement qui est assez troublant, mais la vie au collège, elle, elle continue. Tout le monde continue d’aller à leurs cours, d’avoir le sourire, de rire avec leurs amis. Juste pour nous c’est difficile de remettre les pieds, de remettre les pieds au collège, mais d’agir comme avant, comme lors de la rentrée ou mardi en avant-midi avant qu’on découvre son corps, c’est dur de récupérer le même comportement qu’avant, puis dans le fond, c’est dur aussi de rester dans la même ambiance collégiale parce que pour justement les étudiants, la vie continue, nous autres aussi la vie continue, mais pour la famille de cette victime-là, ça doit être vraiment terrible ce qu’ils vivent.
R.C. : T’as bien raison. Merci beaucoup, Josianne.
J. : Ça fait plaisir.
R.C. : Aurevoir.
J. : Aurevoir.
Édité pour ajouter le lien audio.
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