Publié le 07 janvier 2010 à 07h32 | Mis à jour à 07h35
Philo 101
«Dieu est mort», a écrit Nietzsche. À moins que ce ne soit Fabienne Larouche. À trop regarder Trauma, la nouvelle série-vedette de Radio-Canada, on en vient à perdre ses références philosophiques.
D'autres ont souligné avant moi la qualité de la réalisation, fluide et élégante, de François Gingras (inspirée de Six Feet Under?) ainsi que la distribution de grand talent de cette télésérie médicale. Les personnages, avec leurs parts d'ombre, sont loin d'être inintéressants. Les chansons interprétées par Ariane Moffatt sont envoûtantes. Les décors, modernes, donnent presque envie de se faire opérer dans un hôpital montréalais...
Pourtant, pas besoin d'être diplômé en neurochirurgie pour identifier le caillot. La faiblesse de Trauma, évidente dès les premières minutes de l'épisode diffusé mardi, se trouve toute concentrée dans son texte. Surécrit, invraisemblable, ridiculement verbeux. On a l'impression d'assister à un cours d'initiation à la philo de niveau cégep 1. Kierkegaard pour les nuls, version «une ligne, un punch» allégée pour unité de traumatologie.
Le philosophe opposait la foi et le doute. Fabienne Larouche propose des épisodes pompeusement intitulés Vérités et mensonges ou Doutes et certitudes. Ses personnages se nomment Dr Meilleur (le «meilleur»), Dr Lemieux (la «mieux»), Dr Légaré (l'«égaré») ou Dr Léveillée, une résidente qui dort pendant ses cours et trouve la présence de sa mère, Diane Hevey, la directrice générale de l'hôpital, un peu lourde... Plus subtil qu'une endartériectomie carotidienne.
On excuserait à l'auteure de tels clichés si son scénario n'était pas autant pétri de poésie maladroite et de bons sentiments. Le premier épisode se concluait avec cette tirade, voix hors champ, du psychiatre incarné par Gilbert Sicotte: «Les blessés vous habitent. Leurs douleurs vous font vivre toutes les émotions. Celle d'échapper à la mort, la plus forte pour tout le monde.» Flaubert, sors de ce corps!
Dans cet univers improbable où les résidents contestent de vive voix les décisions de leurs patrons, les médecins philosophent entre deux opérations ou se prennent pour des agents du SCRS, les intrigues sont mal développées et les dialogues plaqués. «Les gens meurent quand on se trompe»; «la chirurgie, c'est pas une science exacte»; «Toi, t'es pas assez folle pour travailler dans le corps des gens en les considérant comme des vraies personnes.» Misère.
On s'étonne que les comédiens aient réussi à garder leur sérieux tellement certaines répliques sont loufoques. Mention toute spéciale à Isabel Richer, toujours impeccable, qui a dû retenir plus d'un fou rire en récitant son texte.
C'est surtout la posture intellectuelle de Fabienne Larouche qui déstabilise le téléspectateur. Virginie, qui est loin du chef-d'oeuvre, souffre moins de cette prétention boursouflée. C'est un téléroman. Trauma, télésérie grandiloquente, multiplie les réflexions remâchées à saveur poético-morale et la philo-psychologie à 5 cennes sur la vie et la mort. «C'est le doute qu'on garde à l'intérieur de soi qui fait de la médecine un savoir scientifique. Être médecin: (c'est) vivre dans le doute, mais avec confiance.» Être ou ne pas être. Je pense, donc je suis. Dieu ne joue pas aux dés...
Fabienne Larouche, à l'évidence, n'a pas les moyens de ses ambitions. Surtout pas celle d'humaniser «l'être médecin», qu'elle perçoit manifestement comme un demi-dieu. On reconnaît dans son pensum la fausse modestie de ceux qui répètent comme un credo: «Je ne suis pas neurochirurgien. Je ne sauve pas des vies.» Qu'ils sentent le besoin de l'affirmer se passe d'explication, dirait sans doute un psychologue.
«C'est quoi ça, l'Archipel du Goulag?» demande le chirurgien alcoolique interprété par James Hyndman (que l'auteure, on l'en félicite, n'a pas baptisé Igor ou Boris Korsakov). Non, c'est Les frères Karamazov. En théâtre d'été.
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