Les hommes et la burqa
Denise Bombardier
Changeons la perspective. Imaginons que dans l’islam, ce soit les hommes qui portent la burqa. Ce soit les hommes qu’on lapide pour adultère, ce soit eux qui après avoir été violés sont égorgés par leurs sœurs et leurs mères au nom de l’honneur. Ce soit les hommes, couverts de la tête aux pieds, la figure compressée par un grillage tissé si serré que la vision en est très affaiblie, qui doivent être accompagnés d’une femme, voire d’une petite fille pour sortir de chez eux. Ce soit aussi les hommes qu’on refuse de soigner et de scolariser comme en Afghanistan.
Malala, la petite Pakistanaise, porte-parole des filles bafouées, qui, attaquée par des fous de Dieu, a failli mourir et qui a reçu le Prix Nobel de la paix, s’appellerait Mohammed ou Hassan.
Réalité inversée
Des hommes en burqa, en niqab ou voilés de la tête aux pieds circuleraient dans nos villes, marchant à distance respectueuse derrière leurs femmes. Les bras chargés de sacs divers l’été à 32 degrés Celsius, on les croiserait dans nos marchés publics précédés de leur épouse en short et t-shirt, les pieds chaussés de sandales ouvertes.
Comment réagiraient les hommes de chez nous si la réalité était inversée? Que diraient messieurs Trudeau, Mulcair et Couillard, si enclins à la tolérance et au respect de lois votées dans le passé, avant qu’on puisse même imaginer des femmes ainsi vêtues dans nos villes, si c’était leur propre sexe qui subissait cette inégalité à cause d’une culture ancestrale qui prend sa source dans la peur panique de l’autre sexe et que toutes les religions d’ailleurs ont intégrée au fil de l’histoire?
Seraient-ils si convaincus du bien-fondé de leurs arguments en faveur du port de la burqa ou du niqab s’ils devaient être portés par des mâles au nom d’une interprétation rétrograde de leur foi?
Porter le niqab
Pour connaître l’effet que produit ce vêtement, il faut l’avoir porté. Il y a quelques années, j’ai acheté un niqab lors d’un séjour aux Émirats. La première fois que je l’ai revêtu, je me suis effrayée moi-même en regardant dans le miroir cette non-personne que j’étais devenue.
Le regard que j’ai dévisagé dans la glace m’était étranger. Je n’étais plus moi. Je n’existais plus. Je me suis présentée ainsi à des amies et j’ai vu la sidération dans leurs yeux. C’est une expérience aussi perturbante que douloureuse.
Le Canada serait donc condamné, en vertu de la Charte, à accepter comme l’expression de la liberté individuelle, cette pratique culturelle aliénante débarquée dans la modernité.
Serait-ce un aveuglement nourri de préjugés de croire que si cette pratique et ce qu’elle indique de la conception de la femme s’appliquait sur la terre plutôt aux hommes, les lois seraient différentes et la notion de droits individuels et collectifs plus sujette à interprétation.
J’ai toujours cru que si le droit à l’avortement avait dû être un combat fondamental des femmes contre une majorité d’hommes, c’est que ces derniers ne se sentaient pas concernés.
Si lors de l’accouplement c’est l’homme plutôt que la femme qui tombait enceint, l’avortement aurait été légalisé il y a des siècles. Science-fiction? Certes, mais qui donc peut écarter cette interrogation sans une part de doute?
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