Le mea culpa de Maripier Morin ne convainc qu’à moitié
Annabelle Caillou - Le Devoir
Les mots et les larmes de la comédienne Maripier Morin, invitée à Tout le monde en parle dimanche, divisent les experts en communication et le public. Si certains y voient un exercice de repentance sincère et convaincant, d’autres critiquent un manque d’authenticité et dénoncent sa présence même sur le plateau.
« Je l’ai trouvée sincère, professionnelle, authentique. […] Elle a avoué ses fautes et dit vouloir s’excuser auprès des personnes qu’elle a blessées, ce qui est important dans le travail de réhabilitation », explique la professeure Mireille Lalancette (UQTR), membre du Groupe de recherche en communication politique.
En direct, devant plus d’un million de téléspectateurs, la femme de 34 ans a fait son mea culpa dimanche soir lors d’une première apparition télévisée depuis les allégations d’inconduite sexuelle et de propos raciste formulées, entre autres, par la chanteuse Safia Nolin l’été dernier.
Elle a confié être habitée par « un grand sentiment de honte » depuis la parution dans La Presse samedi de nouveaux témoignages rapportant des propos racistes et des comportements déplacés qu’elle aurait eus entre 2017 et 2020. « Rendue là, la seule chose que je peux faire, c’est reconnaître que j’ai, par mes comportements, mes paroles, lésé, blessé des gens », a-t-elle déclaré, assurant « regretter profondément ». Elle a aussi certifié qu’elle offrirait personnellement ses « excuses sincères » à chacune des personnes qu’elle a blessées.
Se qualifiant « d’alcoolique dépendante », Maripier Morin a ainsi rapidement parlé de sa maladie, qui lui fait l’effet d’un « dédoublement de personnalité ». Elle la combat depuis maintenant 9 mois. Elle a fait une thérapie fermée de 21 jours en juillet 2020 et est depuis suivie par un psychologue, en plus de participer à des rencontres avec des fraternités anonymes.
À la lumière de ce cheminement personnel, Maripier Morin a plaidé son « droit » à retrouver « un semblant de vie normale » en exerçant à nouveau son métier, sa seule « passion ». Rappelons qu’elle a retrouvé dans les derniers mois son personnage dans La faille 2, décroché le premier rôle dans le film Arlette !, de Mariloup Wolfe, et qu’elle travaille sur une deuxième saison de sa série documentaire Mais pourquoi ?. Un retour dans la sphère publique jugé « trop rapide », voire « injuste » par certains.
Attirer la sympathie
Sur la Toile, les avis ont été très partagés après l’entrevue de la comédienne. Si certains lui ont déjà pardonné, d’autres crient au manque d’authenticité.
La professeur Mireille Lalancette a pour sa part trouvé intéressant de voir la vedette se mettre à nu. « En parlant de ses problèmes, en les nommant et en expliquant comment elle cherche de l’aide, il y avait une dimension pédagogique dans l’entrevue », estime-t-elle.
La stratège en communications Martine St-Victor rappelle qu’il s’agissait avant tout d’un exercice de relations publiques. « On le voit rien que dans son apparence. Elle a un chandail blanc, la couleur de la pureté, du calme et de la neutralité. Son maquillage est très naturel, elle a peu de bijoux, pas d’artifices. Le message est clair : elle n’a rien à cacher », analyse la fondatrice du groupe Milagro Atelier de relations publiques.
Son discours était aussi bien préparé et maîtrisé, note-t-elle. « En humanisant ses problèmes, elle a pu s’attirer la sympathie d’une partie du public », souligne Martine St-Victor. Elle s’est par exemple confiée avec sincérité sur son alcoolisme, a partagé son besoin « maladif » d’être aimée, révélant son insécurité. Elle s’est aussi portée à la défense de Safia Nolin en déplorant la violence dont elle a été victime sur les réseaux sociaux. Sans compter le retrait volontaire de sa nomination au Gala Artis — qui a été très critiquée — parce qu’elle est « tannée de diviser ».
Les déclarations de Maripier Morin sont loin d’être des excuses exemplaires, juge Olivier Turbide, professeur au Département de Communication sociale et publique à l’UQAM. « Elle a dit qu’elle n’était “pas fière”, qu’elle a “honte”, qu’elle “regrette”, mais elle ne s’est pas excusée à la télé, sous prétexte que “c’est un peu facile” et qu’elle le fera en personne. Déjà, on ne sait pas quand elle le fera, et ensuite une personnalité fait souvent les deux, elle s’excuse publiquement et en personne », fait-il valoir.
Il a aussi trouvé la comédienne « peu engagée » à reconnaître ses torts. « Elle n’identifie pas clairement ce qu’elle a fait de mal. Elle fait juste ne pas nier les faits relatés dans les médias. Elle atténue aussi la gravité de ses gestes en parlant de “manque de respect”, alors que ça va bien plus loin que la notion de respect. »
Olivier Turbide trouve aussi que Maripier Morin s’est déresponsabilisée des gestes qui lui sont reprochés, en ciblant d’emblée sa maladie de l’alcoolisme comme responsable de sa perte de contrôle. « Elle insiste aussi pour faire la distinction entre “Maripier dans un contexte professionnel et Maripier en état de consommation”. Mais c’est la même personne. L’alcool ne crée pas un autre personnage, il amplifie qui l’on est », soutient le professeur.
Ce serait également faire abstraction des témoignages recueillis par Le Devoir l’été dernier, mentionnant des comportements déplacés en contexte de travail.
Les victimes délaissées
Et c’est sans parler de la place faite aux victimes. « Dans un repentir exemplaire, c’est important de reconnaître qu’elles vivent de la douleur. Dans son discours, Maripier Morin leur accorde peu de place et ne se met pas à leur place. Elle est centrée sur elle, ce qu’elle vit, son parcours de réhabilitation et son besoin de retravailler et vite », ajoute Olivier Turbide. Un avis partagé par plusieurs téléspectateurs qui ont abondamment exprimé leurs critiques sur les réseaux sociaux.
« Pour les victimes d’une agression à caractère sexuel ou raciste, c’est violent de voir son agresseur à la télévision reprendre ainsi le contrôle du narratif », souligne Alexandra Dupuy, candidate à la maîtrise en linguistique. Dans une lettre qu’elle cosigne dans nos pages, elle juge « inappropriée » la présence de Maripier Morin à Tout le monde en parle et dénonce le fait que le micro ne soit pas donné plus souvent aux victimes ou aux personnes qui leur viennent en aide.
« Invisibiliser les victimes tout en mettant les agresseurs sous les projecteurs revient à cautionner leurs actions — les personnes qui contribuent au retour à la vie publique de ces agresseurs ont leur part de responsabilité dans cette dynamique », déplorent les cosignataires. Elles ont d’ailleurs créé un compte Instagram pour justement donner la parole aux victimes afin qu’elles racontent ce qu’elles ont vécu après leur agression et à quel point leur vie a changé.
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