Les «abuseurs» du système de santé
03 octobre 2011 à 06h14 | Mis à jour à 10h30
Rima Elkouri
La Presse
On a tendance à les voir comme des «abuseurs» du système de santé. Ces gens qui se présentent aux urgences cinq fois dans la même semaine. Cinq fois pour rien? Pas vraiment. Ils cumulent en général toutes sortes de problèmes. Troubles de santé mentale, troubles anxieux, toxicomanie, maladies chroniques...
On a tendance à les voir comme des «abuseurs». Mais bien souvent, si on y regarde de plus près, on comprend que c'est la vie qui a abusé d'eux. Ils ne savent pas à quelle porte frapper. Alors ils atterrissent aux urgences, même si on leur a dit que ce n'était pas l'endroit pour eux. Une fois, deux fois, trois fois... Jusqu'à en décourager le personnel débordé de l'hôpital qui finit par se dire: «Ah! Non! Pas encore lui!»
Que faire de ces patients? La solution souvent envisagée par le gouvernement, mais qui n'en est pas une, c'est celle du ticket modérateur. Pour éviter que les gens ne consultent pour «rien», on instaurerait un système d'utilisateur-payeur. Une solution injuste, contraire aux grands principes d'universalité et d'accessibilité du système de santé québécois. Devant le tollé, elle a heureusement été abandonnée l'an dernier.
La bonne nouvelle, c'est qu'avec un peu d'ingéniosité, il est possible de «modérer» plus intelligemment le recours quasi compulsif aux urgences de certains patients. C'est ce qu'a réussi avec brio le CSSS des Sommets avec son programme Défi Santé.
Des études ont démontré que 25% des patients qui fréquentent les urgences des hôpitaux accaparent 75% des services qui y sont offerts. Au lieu de renvoyer bêtement chez eux les gens qui semblent abonnés aux urgences, la directrice des soins infirmiers du CSSS des Sommets, France Laframboise, et le Dr Jean Mireault ont eu la bonne idée d'analyser les besoins réels de ces patients. Qui sont-ils? Pourquoi reviennent-ils tout le temps? Que pourrait-on faire pour améliorer leur bien-être tout en délestant les urgences de cette pression chronique?
Ce qu'ils ont découvert, c'est ce que je décrivais plus haut. Non pas le cliché attendu - des personnes âgées qui se découvriraient des nouveaux bobos tous les jours et iraient distraire leur inquiétude à l'hôpital. Mais plutôt un éventail de «cas lourds». Des gens qui, pour la plupart, ont des problèmes de santé chroniques - maladies pulmonaires, diabète, toxicomanie... Dans plusieurs cas, ces gens vivent dans la précarité ou ont des troubles de santé mentale qui aggravent leur état. Très souvent, ils sont désorganisés. L'ennui, c'est qu'ils se butent à un système de santé tout aussi désorganisé, où les intervenants ne se parlent que trop peu. Le pharmacien ne sait pas ce que le médecin de famille a dit. Le médecin de famille ne sait pas que son patient se présente aux urgences tous les jours. L'urgentologue ne sait plus quoi faire...Et la salle d'attente déborde jusque dans le corridor.
Dans le cadre du projet Défi Santé, le CSSS des Sommets a décidé de prendre par la main chacun de ses patients abonnés aux urgences. Une infirmière et une travailleuse sociale prennent en charge leur dossier. Au lieu de laisser ces patients naviguer seuls dans le système, on leur offre un suivi étroit, très personnalisé. On retisse des liens entre le patient, son médecin de famille, le pharmacien, les proches, les organismes communautaires. On s'assure d'une meilleure coordination. Résultat: les visites aux urgences de ces patients ont baissé de 72%. Les jours d'hospitalisation ont baissé de 90%. Le personnel de l'urgence respire un peu mieux. Les patients, aussi.
Ça coûte cher? Non. Pour 100 000$ par année, c'est une véritable aubaine pour le CSSS qui fait ainsi un meilleur travail de prévention, offre des services de première ligne plus efficaces et évite des hospitalisations coûteuses et inutiles. La méthode est aussi beaucoup plus efficace qu'un ticket modérateur qui aurait empêché le CSSS de repérer ces cas lourds et de les diriger vers les bonnes ressources.
«Le symptôme est à l'urgence. Mais la solution est dans la communauté», rappelle avec justesse Alain Paradis, chef du programme Défi Santé.
Un ticket modérateur avec ça? Non. Juste un peu d'ingéniosité modératrice qui, espérons-le, fera des petits.
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