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Refusant de se faire «tordre un bras», l'ex-PDG du port de Montréal Dominic Taddeo a claqué la porte du comité de sélection de son successeur à l'issue du fameux repas au cours duquel le bras droit de Stephen Harper, Dimitri Soudas, était venu inciter les membres du comité à nommer Robert Abdallah, a appris La Presse.
Ces nouvelles informations appuieraient le fait qu'il y aurait eu ingérence politique provenant de l'entourage du premier ministre, en particulier Dimitri Soudas, mais aussi de deux influents entrepreneurs, Tony Accurso et Bernard Poulin, comme le suggèrent des enregistrements de conversation diffusés hier matin sur YouTube.
Le Port de Montréal est une agence fédérale autonome. Lorsque Dominic Taddeo a annoncé sa retraite en 2007, trois membres du conseil d'administration ont été nommés pour étudier les candidatures à sa succession: l'avocat Jeremy Bolger, le comptable Marc Bruneau et la notaire Diane Provost. Il y avait aussi Dominic Taddeo. La loi prévoit que ce comité de sélection peut faire son choix en toute liberté.
Selon l'enquête du Globe and Mail et de Radio-Canada diffusée la semaine dernière, ces trois membres du conseil d'administration ont été invités au printemps 2007 par Dimitri Soudas, au restaurant Le Muscadin, à Montréal. M. Soudas, alors lieutenant de Stephen Harper pour le Québec, leur a clairement dit que Robert Abdallah était le choix du gouvernement fédéral. Robert Abdallah avait été le DG de la Ville de Montréal jusqu'en 2006. «Il y a certainement eu de l'ingérence, parce qu'ils nous ont rencontrés spécifiquement sur la nomination du nouveau président», a déclaré Marc Bruneau. Cet ex-comptable de chez Raymond Chabot aurait aussi été victime d'un chantage au renouvellement de son poste s'il ne votait pas pour Abdallah, a-t-on appris dans ces reportages.
Autre tentative en 2009
En entrevue à La Presse, Dominic Taddeo affirme qu'il a participé lui aussi à cette rencontre avec Dimitri Soudas et les trois autres personnes citées plus haut dans un salon privé du Muscadin. Dimitri Soudas leur aurait fait part des intentions du gouvernement de Stephen Harper quant à son successeur.
En sortant de table, Dominic Taddeo avait compris «ce qui allait se dérouler». «J'ai dit à mes collègues que je ferais mieux de m'éloigner», nous confie-t-il. Il a démissionné peu après du comité de sélection.
Une autre source très au fait du dossier a indiqué à La Presse l'existence d'une autre rencontre, au restaurant Beaver Club, à laquelle aurait assisté encore Dimitri Soudas et aussi Marc Bruneau. M. Taddeo dit n'en avoir aucun souvenir.
Finalement, Robert Abdalah n'a pas été nommé. C'est Patrice Pelletier qui a pris le siège de Dominic Taddeo avant d'être congédié un an et demi plus tard. Robert Abdallah a été quant à lui embauché par la compagnie Gastier, propriété de Tony Accurso.
Mais en novembre 2009, La Presse a révélé que Robert Abdallah avait de nouveau été le choix du gouvernement, cette fois pour occuper un poste au conseil d'administration. Sa candidature était moussée par John Baird, alors ministre des Transports.
Rappelons que, dans un des trois enregistrements en ligne sur YouTube, on entend des hommes identifiés comme Bernard Poulin, du groupe SM, et Tony Accurso détailler les manoeuvres entreprises pour faire nommer Robert Abdallah. Ils disent se servir aussi du jeune sénateur Léo Housakos comme relais pour accéder à Dimitri Soudas, le «vrai patron du Québec», dit M. Poulin. Housakos et Soudas se connaissent de longue date et ont travaillé ensemble dans l'équipe de Gérald Tremblay en 2001-2002.
Relations tendues
Lors de cette conversation, Dominic Taddeo est aussi qualifié de tête de cochon, un terme attribué à un certain «Jean», qui serait Jean Lapierre. Celui-ci a convenu en entrevue à La Presse que c'est de lui qu'il s'agissait puisqu'il avait souvenir d'une discussion sur le port de Montréal avec son «ami de 35 ans», Bernard Poulin.
Le qualificatif de «tête de cochon» fait rire la personne concernée: «Venant de M. Poulin, c'est un compliment», commente Dominic Taddeo. Ce dernier explique avoir eu «plusieurs discussions» avec le patron de SM pour des contrats d'ingénierie lorsqu'il dirigeait le port.
«Dans la conversation, M. Poulin dit qu'il va parler aux membres du conseil. S'il pouvait tordre leur bras, bonne chance, dans mon cas il s'avère qu'il ne le pouvait pas.»
Gilles Duceppe, qui a mentionné le premier l'existence de ces enregistrements, estime que «M. Soudas devrait être relevé de ses fonctions le temps de (la campagne électorale) tant que la lumière n'est pas faite. Et la lumière doit être faite d'ici la fin de cette campagne.»
Il n'a pas été possible de joindre Marc Bruneau. Ni Dimitri Soudas ni Robert Abdallah n'ont rappelé La Presse. Hier, Dimitri Soudas a indiqué que «la porte du premier ministre était fermée pour quiconque essaye d'influencer n'importe quelle décision» et il a qualifié de «ridicules» ces allégations de pressions.