Publié le 16 juillet 2011
Renaître
Luc Larochelle
La Tribune (en page 6 – 7 sous la rubrique Actualités)
Au lendemain du verdict de non-responsabilité criminelle rendu dans la cause du Dr Guy Turcotte, j’avais un message de Charles Pelletier dans ma boîte de courriels :
« Je suis entièrement d’accord, un père de famille proche de ses enfants ne peut poser un tel geste de violence sans avoir perdu la raison», m’écrivait-il.
Je suis heureux d’avoir des nouvelles de Charles, un conseiller financier et grand sportif à Sherbrooke. Comme tous ceux qui le connaissent et le côtoient, j’avais été sidéré d’apprendre à la fin du mois de mai qu’il avait tenté de s’enlever la vie.
«J’ai scié les jambes à pas mal de monde, moi le premier. Quand j’ai repris conscience, le personnel médical m’a remis un crayon et m’a demandé d’écrire la raison pour laquelle je croyais être à l’hôpital. Problème de santé ? Non, m’a-t-on répondu. Accident ? Non plus. Quand on m’a raconté ce qui s’était produit, je ne le croyais pas. Je prétendais que c’était impossible.»
Est-il passé à deux minutes ou à deux souffles de la mort, personne ne peut le dire. La seule certitude était qu’il avait le cordon de la vie à seulement 46 ans quand sa conjointe Josée l’a trouvé et lui a porté secours.
Charles est un visage familier pour les joueurs, les organisateurs et les amateurs du Pif Vacances Transat lors duquel nous avons été des adversaires. C’est un racé. Un compétiteur intense mais franc et diplomate que l’on respecte et qui vous rend le même respect.
Nous nous étions croisés au salon funéraire pour partager la peine d’un ami commun, Daniel Blouin, qui venait de perdre brutalement son garçon de 17 ans. Un suicide.
«Aimez vos enfants et passez du temps avec eux, car la fatalité arrive sans qu’on la voit venir», nous avait tour à tour dit Daniel.
Sur place, pas le moindre indice de désarroi chez Charles. Juste la même empathie que moi envers Daniel et les siens. Par contre, le titre et le contenu d’une lettre d’appui alors publiée sur Facebook peuvent aujourd’hui paraître à double sens : «La vie nous réserve parfois des épreuves dont nous n’avons pas de réponses…»
Charles n’a pas de souvenirs d’avoir croisé Daniel, d’avoir rédigé sa lettre, de notre rencontre. Black-out complet sur les jours précédents sont geste suicidaire, y compris le 14e anniversaire de sa précieuse «Alexou crassou» qui ne laissait pourtant aucun doute sur leur relation affectueuse dans un hommage qu’elle a rendu à son père sur Facebook durant sa convalescence.
«Mon papa c’est tellement une bonne personne, un bon vivant. Nous l’aimons énormément. Quand tu le connais, y’a pas moyen de ne pas l’aimer.»
«Tu reprends peu à peu tes esprits, contact avec la réalité, et tu te dis : qu’est-ce que j’ai fait! Si les gens ne croient pas qu’on puisse se perdre subitement et perdre la raison, je sais ce que c’est. Je l’ai vécu. »
«J’ai entendu toutes sortes de suppositions. Que je devais m’être retrouvé dans une histoire à la Vincent Lacroix, que j’avais dû mettre ma famille dans le pétrin avec des mauvais placements. Le seul aspect financier dans tout cela, c’est que j’avais reçu un bonus au travail. Ma femme aurait souhaité que j’en fasse une utilisation x, j’ai choisi autre chose. J’étais incapable de lui admettre avoir fait à ma tête. Une banalité. Charles le confident de tout le monde était prisonnier de lui-même.»
Après avoir passé un mois à l’unité psychiatrique du CHUS, il est revenu à la maison sans prescription d’antidépresseurs, sans diagnostic d’une quelconque maladie mentale. Un épisode passager appelé «troubles d’adaptation aux facteurs de stress». Des bizarreries en ont découlé.
Charles est allé négocier le prix d’achat de l’immeuble où habitent ses parents quelques heures avant d’enregistrer une vidéo de 120 minutes dans laquelle il faisait ses adieux. Sa police d’assurance-vie de 2 M $ allait assurer le bien-être de sa femme et de ses deux enfants, rendre ses parents propriétaires, il léguait un peu d’argent à tous les membres de sa famille élargie.
«Tout était très cartésien mais dans un monde parallèle, irréel. Durant les semaines et jours précédents, tout était normal à la maison. J’étais aussi fonctionnel que d’habitude au bureau. Il devait y avoir deux Charles Pelletier à l’intérieur de mon corps. Certains ne voudront pas me croire. Peut-être que je ne l’aurais pas cru non plus avant de le vivre.»
L’accumulation du stress est survenue au cours d’un printemps surchargé. La préparation à trois examens de qualification pour devenir courtier en valeurs mobilières chevauchait son début de saison à la barre de son équipe de baseball (les Athlétiques midget AA, dans laquelle évolue son fils Jordan) et les préparatifs du Pif.
«J’avais réussi les deux premiers examens les plus exigeants. Le troisième en était un de routine, comme s’il fallait retourner suivre l’examen théorique pour un permis de conduire. Je devais le passer ce jour-là. Pourquoi me suis-je renfermé en-dedans de moi-même et ai-je voulu en finir avec la vie au lieu de me rendre à l’examen ? C’est inexplicable, irrationnel. »
Grâce à Josée, j’ai une deuxième chance de mordre dans la vie. D’apprécier les petits bonheurs, les choses simples. J’ai un seul souvenir de l’au-delà, je survolais le pays en me répétant : c’est tu beau la vie. Méchant paradoxe!»
Sa famille, ses amis, ses collègues de la RBC l’encouragent sans le juger. «Tu donnes beaucoup, à ton tour de recevoir», lui a écrit son patron Richard Millette.
«Prenons l’exemple de Charles pour ce qu’il est, un rappel de notre vulnérabilité», ajoute en entrevue M. Millette.
«Moi, je m’en suis pris seulement à moi. Dans le même état second, peut-être aurais-je pu m’en prendre à Josée et à mes enfants. Un peu comme le Dr Turcotte. Avant de porter des jugements sur les autres, faisons l’effort d’essayer de comprendre», conclut le père, l’athlète et le professionnel en finances qui renaissent dans la tête de Charles que j’ai toujours connu.
N. B. Je n'ai pas trouvé la publication sur le WEB présentement. J'ai pris la liberté de vous écrire le texte et dès qu'il sera publié je placerai le lien.
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