Publié le 02 mars 2010 à 07h32 | Mis à jour à 07h35
Canadian please...
Nathalie Petrowski
La Presse
Pendant plus de trois heures, on a fait défiler la liste complète des clichés qui définissent le Canada autant qu'ils le caricaturent.
Si le Canada a déjà eu des problèmes d'identité, la cérémonie de clôture des Jeux de Vancouver les a réglés une fois pour toutes. Depuis dimanche soir, tout est désormais clair. Le Canada n'est pas un pays. C'est une police montée, un joueur de hockey, un castor géant, un canot d'écorce volant, une feuille d'érable déguisée en folies bergères et un acteur qui a fait fortune aux «États» mais qui revient, une fois par cérémonie olympique, dire à quel point il est fier d'être canadien. Mon pays, ce n'est pas un pays. C'est une boutique de souvenirs pour touristes japonais mis en boîte par un metteur en scène australien.
C'est en effet le souvenir impérissable que je garde du spectacle de clôture des Jeux olympiques de Vancouver. Pendant plus de trois heures, on a fait défiler la liste complète des clichés qui définissent le Canada autant qu'ils le caricaturent. Évidemment, ce jeu de clichés imaginé par l'Australien David Atkins était volontaire et cherchait à mettre en valeur la belle simplicité d'un pays qui ne se prend pas au sérieux et qui sait rire de lui-même. Il n'en demeure pas moins que, vu du Québec, tout cela semblait un brin étrange.
Le plus étrange fut sans doute cette citation de Robert Charlebois, qui est arrivée sur la glace comme un cheveu dans la soupe à la fin du discours du président du comité organisateur. Voulant éviter à nouveau un incident diplomatique avec les frogs du Québec, le président a lancé dans un français approximatif: «Comme le dit Robert Charlebois: «Adieu, tu seras toujours mon plus beau souvenir.»» Dommage que le président se soit gardé de citer la suite: «Adieu, je t'oublierai deux cents fois par jour, je boirai pour calmer l'oubli, tous les verres de Gainsbourg...»
Hormis cette brève citation lancée dans la langue de Charlebois mais avec l'accent de Stephen Harper, le français a été mieux servi en fermeture qu'en ouverture. Reste que même les plus nobles efforts de bilinguisme concerté n'ont pas réussi à faire en sorte que le français dépasse le statut de garniture sur le gâteau anglo-saxon. Une fois de plus, on a cru que de saupoudrer un «merci, bonsoir» par-ci par-là serait suffisant pour calmer les esprits et donner l'apparence d'un bilinguisme qui, dans les faits, n'existe pas.
Côté spectacle, le fait français était tout simplement absent. Ce à quoi nous avons eu droit dimanche soir était d'abord et avant tout une grossière folklorisation du Canada, dans laquelle le Québec brillait par son absence. En fait, ce n'est pas tout à fait juste. Il y avait bien deux canots d'écorce et trois draveurs sur fond de rigodon à la sauce Bottine souriante pour représenter le Québec tel qu'il était en 1810, mais rien pour illustrer son évolution, sa modernité ni sa place singulière dans le vaste Canada.
Difficile de ne pas s'en plaindre quand on pense que c'est un skieur québécois qui a offert au Canada sa toute première médaille d'or, que c'est une patineuse artistique québécoise qui lui a offert son moment le plus poignant et que, sans le dynamisme et la combativité des athlètes québécois, le Canada n'aurait pas réussi à battre son propre record olympique ni à obtenir le plus grand nombre de médailles d'or de toute son histoire.
Mais tout cela n'est pas très nouveau. Pas plus que ne l'était cette débauche de rouge tonitruant, rappelant les beaux jours de la propagande maoïste, cette orgie de drapeaux canadiens et de feuilles d'érable créant une mer rouge envahissante et incontournable, qui illustrait mieux que n'importe quel discours non seulement la prédominance canadienne, mais aussi la non-existence québécoise.
Surtout, ne pensez pas que je viens de découvrir quelque chose. Je sais très bien qu'une manifestation internationale comme les Jeux olympiques est une affaire de pays dûment constitués et que, par conséquent, la représentation symbolique québécoise n'a pas sa place. Mais difficile de ne pas éprouver un choc visuel quand, 365 jours sur 365, chez nous, c'est le bleu qui domine.
Difficile de s'identifier à une couleur qui devient officiellement la nôtre une fois tous les deux ou quatre ans. Heureusement que, à la fin, le cliché rouge canadien s'est estompé pour laisser parler la musique canadienne. C'était à mon avis la partie la plus réussie de la soirée, celle qui a su mettre en valeur aussi bien la simplicité émouvante du grand Neil Young tout seul au pied du vaste feu de camp, que la magnifique voix d'Alanis Morissette, le rock accrocheur d'Avril Lavigne ou l'alterno-pop vitaminée du groupe Hedley.
Pour ce qui est du volet québécois, qui a vu défiler Simple Plan, Marie-Mai et Eva Avila, on avait de toute évidence choisi des artistes passe-partout, capables de remplir leur mandat et de sonner aussi professionnels que des Américains. Seule Nikki Yanofsky, une incroyable Montréalaise de 16 ans, sortait du lot avec sa voix riche, jazzée et envoûtante. Si seulement Nikki avait pu chanter «Mon pays, ce n'est pas un pays, c'est une police montée», le Canada et le Québec auraient été une dernière fois vraiment unis et la boucle aurait été bouclée.