Affaire Valérie Leblanc
Du sucre d'orge pour adoucir l'horreur
Martine Turenne/Collaboration spéciale
22/10/2011 07h33
Danielle Soucy et Julie Charron, la mère de
Valérie Leblanc, souhaitent que leur
campagne devienne récurrente.
« Ne compte pas sur moi pour me déguiser en princesse, Sa Majesté! »
Sa Majesté, c'est le surnom que Valérie Leblanc donnait à sa patronne, Danielle Soucy, propriétaire de la boutique Fêtes en Boîtes. On y vend des déguisements, mais surtout, on y organise des fêtes d'enfants. « Elle était du genre garçon manqué », dit Mme Soucy.
« Tu te souviens de ses affreux pantalons carrotés? Je voulais qu'elle les mette à la poubelle! », ajoute la mère de Valérie, Julie Charron.
Une police à la SWAT
Embauchée à l'été, Valérie ne voulait surtout pas mettre de robes pour aller amuser les petits, mais elle convenait parfaitement au profil que Danielle Soucy recherche chez ses employés: de l'aplomb, de la détermination, pas gênée pour un sou, et un faible pour les déguisements. Valérie aimait tout ce qui avait rapport avec le Moyen Âge, la sorcellerie, la mythologie celtique. Elle jouait de la flûte.
Il n'y avait pas que des princesses ou des fées qui donnaient rendez-vous aux enfants les week-ends. Valérie était devenue pirate et surtout, agente secrète.
Un rôle qui lui convenait à merveille : elle rêvait de devenir policière. Comme son grand-père maternel.
«Une police à la SWAT», précise sa mère, une jolie femme de 41 ans qui a ému bien des Québécois il y a une semaine en appelant d'éventuels témoins qui auraient vu ou su quelque chose sur le meurtre de sa fille à se manifester.
C'était le jour où la police de Gatineau dévoilait le portrait-robot d'un témoin important dans cette affaire.
Le destin tragique de cette belle grande fille retrouvée assassinée ne cadre pas avec le décor rose bonbon de la boutique, où les deux femmes se sont confiées au Journal.
Mais l'endroit est devenu le petit quartier général d'une campagne que viennent de lancer Danielle et Julie, devenue amies dans la tragédie. Une campagne pour retrouver l'assassin, bien sûr, mais aussi pour aider les familles qui auront un jour la visite que Julie Charron a reçue le soir du 23 août.
Le défi de trouver
Les grands-parents paternels de Valérie viennent d'ailleurs de partir avec un sac plein de sucres d'orge. L'idée est de les vendre et de ramasser des fonds qui seront en grande partie versés à l'Association des familles de personnes assassinées ou disparues (AFPAD), mise sur pied par le sénateur Pierre-Luc Boisvenu.
Le 26 octobre, Danielle Soucy et Julie Charron iront en vendre au cégep de l'Outaouais. Un dollar, deux dollars, chacun donnera ce qu'il voudra. Avec 2500 sucres d'orge, elles visent 5 000 $.
Les suçons sont accrochés à un petit carton où l'on voit un joli dessin représentant une jeune fille portant un chapeau et avec cette mention : « Pour Valérie... Le défi de trouver ».
C'est Danielle qui s'est dit qu'il fallait faire quelque chose, deux semaines après le meurtre. « Comme Valérie l'aurait fait, dit-elle. Elle nous insuffle cette force. »
C'était une employée, mais aussi la copine de sa fille Catherine, 19 ans. Elle était venue régulièrement se baigner et souper chez elle durant l'été.
Danielle a donc téléphoné à Julie, qui broyait du noir à la maison.
Un réseau de soutien
Julie n'était cependant pas seule lorsqu'elle a appris la nouvelle. Son conjoint était là, son père aussi. « Il m'avait dit au téléphone, au moment où des policiers en civil sonnaient chez moi : ne les laisse pas parler avant que j'arrive. »
Julie souhaite qu'aucune mère, aucun père n'ait jamais à recevoir une telle nouvelle seul. L'argent remis à l'Association pourrait servir à ça : créer un réseau de vigiles dans tout le Québec qui viendraient soutenir les familles endeuillées. Pas deux semaines plus tard. Sur-le-champ.
Et aussi aider financièrement les familles éprouvées. Julie Charron a pu prendre un congé de maladie. « Bien des femmes, monoparentales surtout, ont des statuts plus précaires, dit-elle. Elles n'ont aucune assurance. »
Les deux femmes souhaitent que cette campagne devienne récurrente. Que chaque année, en octobre, le mois de l'Halloween soit celui de la campagne des sucres d'orge, de la campagne pour Valérie et pour l'AFPAD. De 5000 suçons qu'elle veut voir écouler cette année, Danielle se met à rêver : 50 000, 500 000....
Le besoin de savoir
Le matin de notre rencontre, Danielle a acheté le livre fraîchement publié par Nadia Fezzani sur les tueurs en série. « Tu me le passeras quand tu l'auras fini », glisse Julie.
La maman de Valérie a chaud, elle a mal à la tête, elle est au bord des larmes. Mais elle veut savoir. Rien sur les détails du meurtre, ça non. Mais sur ce qui se passe dans la tête de l'assassin de sa fille, oui.
« Plus je vais comprendre, plus je vais m'informer, mieux je vais aller. »
Danielle et elle fréquentent des sites sur les tueurs en série, s'échangent de l'information. Leurs conjoints trouvent ça dur. Surtout celui de Julie, qui est infirmier à Ottawa auprès d'une clientèle de psychiatrisés dangereux. C'est comme si son boulot rentrait chez lui tous les soirs, dit Julie.
Chasser la peur, rester sereine
Et puis, il a fallu chasser la peur. « Au début, j'avais peur pour mon autre fille de 16 ans, dit-elle. Qu'est-ce qu'on a fait? Est-ce que c'est un hasard? Est-ce que le tueur connaissait Valérie? »
L'action, ça fait du bien, dit-elle. « Pour se sortir de ça, il faut faire quelque chose de constructif. » Autour de Julie, les gens affichent parfois trop lourdement leur peine, leur pitié, ou sont trop négatifs. Elle n'aime pas ça : « J'aime mieux être sereine. »
À Noël, Valérie voulait se déguiser en elfe. C'est Danielle qui devait confectionner son déguisement. « Elle pensait qu'on embauchait juste des princesses! »
Non, il y avait aussi de la place pour des elfes, des pirates, des agents secrets...
Mais pas pour des monstres.
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