Armes à feu
« Mon fils est toujours vivant. Mais certains jours, si peu. »
Francine Ruel / Comédienne, auteure et maman
C’est une maman qui s’adresse à vous aujourd’hui. Une maman éplorée devant tant de violences gratuites. Une maman qui ne comprend pas encore comment on peut et on a pu si longtemps permettre la circulation d’armes à feu prohibées, dans une ville comme Montréal. Ces armes à feu qui tuent nos enfants, nos adolescents dans des batailles et des règlements de comptes qui ne les concernent même pas. Mauvais endroit, mauvais moment. Just too bad ! Une vie en moins. Encore une.
Au mois d’août 1993, mon propre fils, alors âgé de 18 ans, a été victime d’une de ces barbaries. Ma famille et moi appelons encore cet acte de violence gratuite « l’accident ». Nous n’arrivons toujours pas à nommer l’innommable.
Vers les 2 h du matin de cette nuit chaude et douce d’août, mon fils et sa blonde revenaient d’une rencontre dans un bar du boulevard Saint-Laurent avec leurs copains. Ils s’étaient retrouvés après leur journée de travail. Ces deux-là rentraient tranquillement à leur appartement.
Comme ils s’étaient querellés dans la soirée, ils s’embrassaient au coin d’une rue pour mettre fin à leur dispute. Une voiture s’est approchée d’eux. Mon fils me dira plus tard : « Tu vois, maman, tu m’as bien élevé, j’ai cru qu’ils avaient besoin d’un renseignement et je me suis placé devant ma blonde pour savoir ce qu’ils cherchaient ! » Mal lui en prit ! C’est à ce moment qu’un individu a baissé la vitre arrière du véhicule, il a sorti un 12 tronçonné et a fait feu sur eux.
Mon fils s’est écroulé sur le trottoir tandis que sa blonde ayant reçu quelques plombs dans le sein et le bras est partie en courant chercher de l’aide au dépanneur tout près.
Pire, mon fils gravement atteint a tenté de se relever. La voiture, qui avait déjà amorcé son départ, a reculé et a tiré à nouveau dans sa direction, le laissant pour mort.
Traumatisme
Mon fils est toujours vivant. Mais certains jours, si peu. Survivant, devrait-on dire. Et dans quel état ! À cette époque, il a été opéré à cœur ouvert, on lui a enlevé un pied d’intestin grèle et la moitié du foie. Physiquement, il s’en est remis, quoiqu’il vive toujours avec plusieurs plombs dans le corps. D’après le chirurgien, si on les enlève, il mourra.
Mais lui ne s’en remet toujours pas. Il meurt un peu chaque jour avec le traumatisme de cet attentat. Certes, il y a eu un procès, les coupables ont été arrêtés et condamné pour une courte peine.
Ce qui me reste en tête et qui ne veut pas s’éteindre, c’est cette phrase qu’est venu dire devant les tribunaux l’un des accusés : « On a tiré au hasard parce qu’on voulait pas rentrer “bredouilles” ! »
Ça leur prenait quelqu’un sur qui tirer pour assouvir leur colère. Cet « accident » date de 28 ans ! Et aujourd’hui, force m’est de constater qu’on en est encore là.
Les armes à feu illégales sont encore et de plus en plus en circulation et on ne fait Rien. RIEN pour empêcher leur possession, RIEN pour arrêter les individus armés qui s’en servent pour accumuler des points auprès de leur gang et qui s’en sortent en toute impunité.
Qui arrivera à donner une réponse à ces pourquoi trop gros pour les parents, les amis en deuil ?
Tout est permis
Les fleurs déposées près des mares de sang, laissées par les corps de jeunes adolescents qui « passaient par là » et qui n’ont rien à voir avec ces violences gratuites, les beaux discours pleins de promesses jamais tenues envers les parents inconsolables de la perte de leur enfant et qui attendent réparation, ces études sur le sujet, truffées de vœux pieux qui n’aboutissent jamais, – à part pour conclure que c’est terrible, tout ça –, les larmes versées par ces mêmes politiciens qui s’en sortent avec une belle image, mais qui ne se commettent pas sur ce sujet épineux, mais vital. Il y va de la vie de nos enfants ! Est-ce que quelqu’un a pensé à ça ?
Et les auteurs de ces massacres, ces tueurs en série s’en sortent indemnes, la plupart du temps. Pas pris, pas punis. Tout est permis dans ce pays ! Les vies qu’ils suppriment n’ont aucune importance à leurs yeux ? Et qu’en est-il aux yeux de ceux qui doivent protéger la vie de nos enfants ?
Nous sommes à la veille du terrible anniversaire de la tuerie de Polytechnique qui a eu lieu en 1989. Quelqu’un me faisait remarquer il y a quelques jours qu’on devrait arrêter de souligner cet anniversaire sanglant. « Il me semble qu’on devrait arrêter de parler de ça ! » Mais on ne peut pas arrêter d’en parler. Comment oublier ? Les tueries des rues qui enlèvent des enfants innocents à leurs parents continuent encore et toujours. On n’a pas avancé d’un iota. Qu’est-ce qu’on attend ?
Est-ce qu’il va falloir que tous nos enfants, adolescents et jeunes adultes périssent au coin des rues, sous le coup des armes à feu, sous ceux des armes blanches qui circulent en toute impunité, encore et toujours, pour agir ? Qu’ils s’appellent Thomas, Jannai, Meriem ou encore Etienne et tous les autres qui ont subi le même sort, il ne faut jamais les oublier.
Aujourd’hui, je me joins à tous ces parents inconsolables qui ont perdu ce qu’ils avaient de plus précieux, de plus doux, de plus tendre, un cadeau de la vie et que la violence gratuite leur a enlevé.
Ce soir, ne rentrons pas bredouilles chez-nous et agissons !
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