Les conservateurs refaçonnent les symboles canadiens
35 000 $ pour un vitrail de la royauté. Deux ans de prison pour interdire l'unifolié. Des couronnes sur les passeports canadiens
Hélène Buzzetti , Marie Vastel
29 septembre 2011
Ottawa — Le gouvernement conservateur poursuit sa vaste entreprise de refonte de l'image du Canada en multipliant les références à la royauté britannique tout en se portant à la défense de l'unifolié. Les passeports et les interdits d'affichage du drapeau en vigueur dans les sociétés d'immeubles en copropriété sont maintenant dans sa mire. Mais cette tentative des troupes de Stephen Harper de politiser les symboles canadiens s'attire les critiques de l'opposition, qui craint que cela provoque de la division inutile.
Selon les informations obtenues par Le Devoir, la couronne de la reine sera désormais trimballée dans les bagages à main des voyageurs canadiens puisqu'elle sera imprimée sur les pages intérieures du nouveau passeport électronique devant commencer à être mis en service d'ici la fin 2012. L'allégeance canadienne à la royauté britannique sera donc bientôt pour tout un chacun.
Passeport Canada prévoit une refonte des passeports en vue d'y inclure une puce électronique, afin d'«améliorer la sécurité du passeport canadien», indique-t-on chez Passeport Canada. L'organisme a cependant refusé de commenter davantage le changement, tout comme le ministère des Affaires étrangères. Selon le site Internet de Passeport Canada, la prochaine génération de documents de voyage offrira un «passeport plus sûr», puisque la puce contenant une photo et une signature propre au pays permettront d'empêcher que le passeport soit falsifié.
La monarchie britannique a quant à elle fait son chemin jusque dans les murs de pierre du parlement. Comme Le Devoir l'a révélé samedi, un vitrail illustrant les reines Elizabeth II et Victoria a été installé au dessus de la porte d'entrée du Sénat, dans l'édifice du parlement. Alors que la fonction publique est appelée à se serrer la ceinture et sabrer les dépenses gouvernementales de 4 milliards de dollars par année, le gouvernement confirme que le vitrail a coûté un peu plus de 35 000 $, dont 10 000 $ pour son installation.
Le vitrail célèbre d'une part le jubilé de diamant d'Elizabeth II, soit le 60e anniversaire de son accession au trône qui aura lieu en février 2012, et d'autre part la décision de la reine Victoria de choisir Ottawa comme la capitale du Canada en 1857. Ce vitrail surplombe le foyer du Sénat où se trouvent déjà une immense toile de trois mètres de haut de la reine Victoria et une autre, de près de deux mètres de haut, de la reine Elizabeth II. L'artiste, Christopher Goodman, indique que le vitrail a été terminé il y a un an. Le gouvernement l'a installé en catimini il y a deux semaines.
Notons qu'en Grande-Bretagne, on a aussi eu l'idée de produire un vitrail pour souligner le jubilé dans l'enceinte parlementaire en juin dernier. Toutefois, ce sont les députés et lords qui ont été invités, par les présidents des deux chambres, à financer personnellement l'initiative.
Plus tôt cette année, le gouvernement a remplacé deux toiles d'Alfred Pellan par un portrait de la reine au ministère des Affaires étrangères et a obligé les ambassades canadiennes à l'étranger à afficher un portrait de la souveraine. La marine et l'aviation canadienne ont été rebaptisées «royales».
De la prison pour un drapeau
Avec tout ceci pour toile de fond, le ministre du Patrimoine, James Moore, a dévoilé hier un projet de loi imposant une amende que la cour «estime indiquée» ou une peine de prison de deux ans à quiconque tente d'empêcher une personne de faire flotter le drapeau canadien. Le préambule de ce projet de loi d'initiative parlementaire indique que «le drapeau canadien représente la liberté, la démocratie, le courage et la justice, principes qui constituent le fondement de notre grand pays» et «qu'il est dans l'intérêt national et public de ne pas empêcher le déploiement du drapeau canadien».
Dans les faits, ce projet de loi invalide les divers règlements en vigueur dans les sociétés d'immeubles en copropriété interdisant l'affichage de symboles ou de décorations. Quelques cas ont fait surface au cours des années. Pas question, toutefois, d'invalider les interdictions s'appliquant aux autres drapeaux, des provinces ou encore de la communauté homosexuelle.
«Chaque province pourra décider d'elle-même la manière de protéger ses symboles et son drapeau», a expliqué le ministre James Moore. Le ministre a indiqué que par cette loi — qu'il espère faire adopter rapidement en obtenant le consentement unanime de la Chambre des communes —, le gouvernement désire «encourager les Canadiens à afficher leur drapeau national pas seulement le 1er juillet, mais tous les jours de l'année».
Comment réconcilie-t-il ce désir de voir se multiplier les drapeaux canadiens alors que le gouvernement conservateur ramène la monarchie britannique un peu partout? «Je suis certainement en faveur des événements et des plans de ce gouvernement pour célébrer les moments, institutions et faits historiques du Canada. Ça inclut le 400e anniversaire de la ville de Québec, ça inclut le 400e anniversaire de Montréal qui s'en vient, oui, ça inclut notre couronne, ça inclut nos forces armées et ça inclut le drapeau.»
Les partis d'opposition s'insurgent contre ce genre d'initiatives. Selon le député néodémocrate Paul Dewar, il est «malheureux» que les conservateurs utilisent le nationalisme pour faire avancer leur cause partisane. «Le nationalisme a sa place, mais l'utiliser à des fins de positionnement politique ou pour en tirer un avantage ne respecte pas les valeurs canadiennes. Je crois que c'est un problème. Ils utilisent nos images et nos icônes pour s'insérer dans l'histoire du pays. Notre histoire est notre histoire, et le Parti conservateur est le Parti conservateur.»
Le chef libéral par intérim, Bob Rae, n'a rien contre le projet de loi conservateur, y voyant une simple protection de la liberté d'expression. De manière générale, toutefois, il craint que cette instrumentalisation des symboles de la royauté à des fins partisanes crée des divisions. Il rappelle que le Canada est un pays indépendant. «Je n'aime pas l'idée que la monarchie devienne encore une question politique au pays. Ce n'est pas nécessaire. Il n'y a aucune raison de le faire. Mieux vaut continuer sur la voie reconnaissant que oui, le Canada fait partie du Commonwealth, oui, la reine est là, mais le Canada est un pays.» Il interprète toutes ces mesures comme l'expression d'une «vulnérabilité» et d'un manque de confiance des conservateurs envers eux-mêmes.
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