Publié : jeu. déc. 08, 2011 11:14 am
Procès Shafia: 51 témoins plus tard
Christiane Desjardins - La Presse
8 décembre 2011
Une Nissan avec quatre noyées à bord dans une partie des écluses de Kingston parmi les plus difficiles d'accès pour un véhicule.
Si la scène paraissait incongrue, le matin du 30 juin 2009, la thèse du ministère public allait plus tard se révéler encore plus ahurissante: les quatre femmes auraient été tuées par trois membres de leur propre famille, parce qu'elles ternissaient l'honneur de la famille en s'occidentalisaient avec trop de vigueur. D'origine afghane, la famille avait vécu 15 ans à Dubaï avant d'émigrer au Canada, en 2007.
Au cours des sept dernières semaines, au palais de justice de Kingston, les procureurs de la Couronne Gerard Laarhuis et Laurie Lacelle ont fait défiler 51 témoins et déposé 144 pièces à conviction dans le but de prouver leur théorie au jury chargé de juger Mohammad Shafia, 58 ans, sa deuxième femme Tooba, 41 ans, et leur fils aîné Hamed, 20 ans. Ils sont accusés des meurtres prémédités de Rona Amir Mohammad, 53 ans, première femme de Mohammad, ainsi que de trois des filles de la famille, Zainab, 19 ans, Sahar, 17 ans, et Geeti, 13 ans.
La famille comptant trois adultes et sept enfants, tous issus du second mariage puisque Rona était stérile, rentrait à Montréal après un voyage d'agrément à Niagara, au moment des événements. Elle voyageait à bord de deux véhicules, une Lexus et une Nissan Sentra, achetée d'occasion le 21 juin 2009, la veille du départ pour ces vacances. La tragédie se serait produite aux alentours de 1h30, la nuit du 30 juin 2009, lorsqu'ils étaient sur le chemin du retour. Les Shafia se sont arrêtés à Kingston pour dormir dans un motel. Les parents soutiennent qu'une fois au motel, Zainab a demandé les clés de la Nissan pour aller chercher ses vêtements. Ils avancent qu'elle en aurait profité pour aller se promener avec ses deux soeurs et celle qu'on présentait comme leur tante. Aucune des quatre victimes n'avait de permis de conduire. La Couronne soutient pour sa part que la femme et les trois filles ne sont jamais allées à ce motel et qu'elles auraient plutôt été amenées à l'écluse de Kingston Mills, située à trois ou quatre kilomètres du motel en question. Selon la preuve, c'est Tooba qui a conduit la Nissan jusqu'à Kingston, avec la femme et les trois filles à bord.
Les preuves
Les victimes sont assurément mortes noyées, mais le pathologiste ne peut dire si elles ont été noyées dans l'écluse ou ailleurs avant. Les analyses n'ont pas permis de découvrir de traces de sédatif ou d'autres produits connus dans leur corps.
Une chose semble acquise: elles n'auraient pas tenté de sortir du véhicule, alors que cela aurait pu être possible. La fenêtre du côté conducteur était baissée, aucune n'était retenue par sa ceinture de sécurité, et la Nissan a sombré dans moins de sept pieds d'eau.
C'est la plus jeune, Geeti, 13 ans, qui flottait au-dessus de la place du conducteur. Zainab, 19 ans, flottait du côté passager avant, dos au plafond, entremêlée avec sa jeune soeur. Sur la banquette arrière, il y avait Sahar, assise derrière le conducteur, et Rona, au milieu de la banquette. La place à droite était libre. Les sièges avant étaient fortement inclinés vers l'arrière, ce qui aurait rendu la conduite pratiquement impossible, a expliqué un policier.
Le levier de la transmission automatique de la Nissan était en première, une position rarement utilisée qui sert à monter les côtes sans fatiguer le moteur. La clé dans le contact était en position off, ce qui signifie que le moteur ne fonctionnait pas, mais qu'il y avait de l'électricité. Les roues de la Nissan étaient complètement braquées à gauche. Les dommages à la Nissan, particulièrement à l'arrière gauche, démontrent qu'elle a été frappée ou poussée par une autre voiture. Et cette autre voiture, c'est la Lexus. Les dommages aux deux voitures concordent, et même Hamed, dans une déclaration aussi surprise que tardive, a reconnu que les deux voitures se sont touchées à l'écluse de Kingston Mills, la nuit fatidique.
La preuve d'écoute électronique
Suspectés très rapidement, les Shafia ont été mis sous écoute électronique entre les 18 et 22 juillet 2009, jour de leur arrestation. Ils ont tenu des propos qui paraissent lourds de sens, surtout Mohammad. «Qu'on soit en vie une nuit ou un an, nous n'aurons plus à nous en faire, à penser que notre fille est dans les bras d'un tel ou d'un tel... Filles sans honneur, je me demande même si elles ne faisaient pas ça à Dubaï. Elles devaient enlever leur foulard en sortant de la maison.»
«Non, je suis sûre qu'elles n'étaient pas comme ça là-bas», a répondu Tooba. Plus tard, cette dernière a dit: «Je sais que Zainab était finie, mais j'espérais que les deux autres ne l'étaient pas.»
«Non, Tooba, elles ont tout gâché. Il n'y avait pas d'autre moyen... Elles étaient des tricheuses. Elles se sont trahies elles-mêmes et nous ont trahis aussi. Comme cette femme qui se tient sur le bord de la route, prête à partir avec le premier venu... Quand je te disais d'être patiente, tu me disais que c'était difficile. Ce n'est pas plus dur que de les regarder faire avec des chums (boyfriends). Quand je vois ces photos, je me console. Je me dis que j'ai bien fait. Si elles revenaient à la vie cent fois, je referais la même chose. Je me sens blessé à ce point-là. Tooba, elles nous ont trahis immensément. Elles nous ont violés immensément. Il n'y a pas de plus grande tricherie, de plus grande violation que ça... Elles ont trahi l'islam, elles ont trahi notre religion et nos principes, elles ont trahi nos traditions, elles ont tout trahi...»
Preuve de crainte
La Couronne a fait tout un pan de preuve avec les craintes des enfants devant les réactions de leur père, et le fait que leur frère aîné détenait l'autorité quand le père était en voyage d'affaires à Dubaï. L'école Antoine-de-Saint-Exupéry avait alerté la DPJ deux fois au sujet de Sahar, au printemps 2008 et en juin 2009. Quatre des enfants Shafia, dont Sahar et Geeti, ont appelé le 911, le 15 avril 2009, quand Zainab a fui la maison pour se réfugier dans une maison pour femmes. Ils craignaient la réaction de leur père. La police et la DPJ sont intervenues, mais le dossier a été rapidement fermé.
Le journal de Tooba de même que ses nombreux entretiens téléphoniques dans lesquels elle a fait part de ses malheurs et de ses craintes ont aussi été présentés en preuve.
Preuve de déplacements
Trois téléphones portables ont été trouvés sur le plancher de la Nissan engloutie, dont ceux de Zainab et de Sahar. Celui de Zainab avait été débranché le 19 juin, mais celui de Sahar était toujours en fonction. Il a permis de reconstituer les allées et venues de la famille avant le drame. Les policiers ont déterminé qu'Hamed a quitté le reste de la famille deux jours avant la tragédie pour aller à Kingston, ce qui laisse supposer qu'il aurait pu y faire du repérage.
Les photos et le voyage
Zainab et Sahar prenaient beaucoup de photos avec leur portable. Elles se photographiaient en compagnie de leur ami de coeur, et il leur est même arrivé de se photographier devant le miroir en sous-vêtements. Ces photos sont manifestement venues à la connaissance de Mohammad, puisqu'il y a fait allusion dans l'écoute électronique. «Quand je vois ces photos, ça me console... Filles sans honneur... En soutien-gorge et sous-vêtements...»
Des copies papier de photos prises par les filles, dont celles du petit ami de Sahar, et de Rona ont été trouvées dans le coffre à gants de la Lexus, ainsi que dans une valise noire. Cette valise, trouvée le 22 juillet 2009, jour de l'arrestation des trois accusés, contenait aussi le passeport d'Hamed et sa confirmation de vol pour Dubaï. Il devait s'envoler le jour même pour un séjour de cinq semaines.
C'est maintenant au tour de la défense de présenter sa preuve.
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Christiane Desjardins - La Presse
8 décembre 2011
Une Nissan avec quatre noyées à bord dans une partie des écluses de Kingston parmi les plus difficiles d'accès pour un véhicule.
Si la scène paraissait incongrue, le matin du 30 juin 2009, la thèse du ministère public allait plus tard se révéler encore plus ahurissante: les quatre femmes auraient été tuées par trois membres de leur propre famille, parce qu'elles ternissaient l'honneur de la famille en s'occidentalisaient avec trop de vigueur. D'origine afghane, la famille avait vécu 15 ans à Dubaï avant d'émigrer au Canada, en 2007.
Au cours des sept dernières semaines, au palais de justice de Kingston, les procureurs de la Couronne Gerard Laarhuis et Laurie Lacelle ont fait défiler 51 témoins et déposé 144 pièces à conviction dans le but de prouver leur théorie au jury chargé de juger Mohammad Shafia, 58 ans, sa deuxième femme Tooba, 41 ans, et leur fils aîné Hamed, 20 ans. Ils sont accusés des meurtres prémédités de Rona Amir Mohammad, 53 ans, première femme de Mohammad, ainsi que de trois des filles de la famille, Zainab, 19 ans, Sahar, 17 ans, et Geeti, 13 ans.
La famille comptant trois adultes et sept enfants, tous issus du second mariage puisque Rona était stérile, rentrait à Montréal après un voyage d'agrément à Niagara, au moment des événements. Elle voyageait à bord de deux véhicules, une Lexus et une Nissan Sentra, achetée d'occasion le 21 juin 2009, la veille du départ pour ces vacances. La tragédie se serait produite aux alentours de 1h30, la nuit du 30 juin 2009, lorsqu'ils étaient sur le chemin du retour. Les Shafia se sont arrêtés à Kingston pour dormir dans un motel. Les parents soutiennent qu'une fois au motel, Zainab a demandé les clés de la Nissan pour aller chercher ses vêtements. Ils avancent qu'elle en aurait profité pour aller se promener avec ses deux soeurs et celle qu'on présentait comme leur tante. Aucune des quatre victimes n'avait de permis de conduire. La Couronne soutient pour sa part que la femme et les trois filles ne sont jamais allées à ce motel et qu'elles auraient plutôt été amenées à l'écluse de Kingston Mills, située à trois ou quatre kilomètres du motel en question. Selon la preuve, c'est Tooba qui a conduit la Nissan jusqu'à Kingston, avec la femme et les trois filles à bord.
Les preuves
Les victimes sont assurément mortes noyées, mais le pathologiste ne peut dire si elles ont été noyées dans l'écluse ou ailleurs avant. Les analyses n'ont pas permis de découvrir de traces de sédatif ou d'autres produits connus dans leur corps.
Une chose semble acquise: elles n'auraient pas tenté de sortir du véhicule, alors que cela aurait pu être possible. La fenêtre du côté conducteur était baissée, aucune n'était retenue par sa ceinture de sécurité, et la Nissan a sombré dans moins de sept pieds d'eau.
C'est la plus jeune, Geeti, 13 ans, qui flottait au-dessus de la place du conducteur. Zainab, 19 ans, flottait du côté passager avant, dos au plafond, entremêlée avec sa jeune soeur. Sur la banquette arrière, il y avait Sahar, assise derrière le conducteur, et Rona, au milieu de la banquette. La place à droite était libre. Les sièges avant étaient fortement inclinés vers l'arrière, ce qui aurait rendu la conduite pratiquement impossible, a expliqué un policier.
Le levier de la transmission automatique de la Nissan était en première, une position rarement utilisée qui sert à monter les côtes sans fatiguer le moteur. La clé dans le contact était en position off, ce qui signifie que le moteur ne fonctionnait pas, mais qu'il y avait de l'électricité. Les roues de la Nissan étaient complètement braquées à gauche. Les dommages à la Nissan, particulièrement à l'arrière gauche, démontrent qu'elle a été frappée ou poussée par une autre voiture. Et cette autre voiture, c'est la Lexus. Les dommages aux deux voitures concordent, et même Hamed, dans une déclaration aussi surprise que tardive, a reconnu que les deux voitures se sont touchées à l'écluse de Kingston Mills, la nuit fatidique.
La preuve d'écoute électronique
Suspectés très rapidement, les Shafia ont été mis sous écoute électronique entre les 18 et 22 juillet 2009, jour de leur arrestation. Ils ont tenu des propos qui paraissent lourds de sens, surtout Mohammad. «Qu'on soit en vie une nuit ou un an, nous n'aurons plus à nous en faire, à penser que notre fille est dans les bras d'un tel ou d'un tel... Filles sans honneur, je me demande même si elles ne faisaient pas ça à Dubaï. Elles devaient enlever leur foulard en sortant de la maison.»
«Non, je suis sûre qu'elles n'étaient pas comme ça là-bas», a répondu Tooba. Plus tard, cette dernière a dit: «Je sais que Zainab était finie, mais j'espérais que les deux autres ne l'étaient pas.»
«Non, Tooba, elles ont tout gâché. Il n'y avait pas d'autre moyen... Elles étaient des tricheuses. Elles se sont trahies elles-mêmes et nous ont trahis aussi. Comme cette femme qui se tient sur le bord de la route, prête à partir avec le premier venu... Quand je te disais d'être patiente, tu me disais que c'était difficile. Ce n'est pas plus dur que de les regarder faire avec des chums (boyfriends). Quand je vois ces photos, je me console. Je me dis que j'ai bien fait. Si elles revenaient à la vie cent fois, je referais la même chose. Je me sens blessé à ce point-là. Tooba, elles nous ont trahis immensément. Elles nous ont violés immensément. Il n'y a pas de plus grande tricherie, de plus grande violation que ça... Elles ont trahi l'islam, elles ont trahi notre religion et nos principes, elles ont trahi nos traditions, elles ont tout trahi...»
Preuve de crainte
La Couronne a fait tout un pan de preuve avec les craintes des enfants devant les réactions de leur père, et le fait que leur frère aîné détenait l'autorité quand le père était en voyage d'affaires à Dubaï. L'école Antoine-de-Saint-Exupéry avait alerté la DPJ deux fois au sujet de Sahar, au printemps 2008 et en juin 2009. Quatre des enfants Shafia, dont Sahar et Geeti, ont appelé le 911, le 15 avril 2009, quand Zainab a fui la maison pour se réfugier dans une maison pour femmes. Ils craignaient la réaction de leur père. La police et la DPJ sont intervenues, mais le dossier a été rapidement fermé.
Le journal de Tooba de même que ses nombreux entretiens téléphoniques dans lesquels elle a fait part de ses malheurs et de ses craintes ont aussi été présentés en preuve.
Preuve de déplacements
Trois téléphones portables ont été trouvés sur le plancher de la Nissan engloutie, dont ceux de Zainab et de Sahar. Celui de Zainab avait été débranché le 19 juin, mais celui de Sahar était toujours en fonction. Il a permis de reconstituer les allées et venues de la famille avant le drame. Les policiers ont déterminé qu'Hamed a quitté le reste de la famille deux jours avant la tragédie pour aller à Kingston, ce qui laisse supposer qu'il aurait pu y faire du repérage.
Les photos et le voyage
Zainab et Sahar prenaient beaucoup de photos avec leur portable. Elles se photographiaient en compagnie de leur ami de coeur, et il leur est même arrivé de se photographier devant le miroir en sous-vêtements. Ces photos sont manifestement venues à la connaissance de Mohammad, puisqu'il y a fait allusion dans l'écoute électronique. «Quand je vois ces photos, ça me console... Filles sans honneur... En soutien-gorge et sous-vêtements...»
Des copies papier de photos prises par les filles, dont celles du petit ami de Sahar, et de Rona ont été trouvées dans le coffre à gants de la Lexus, ainsi que dans une valise noire. Cette valise, trouvée le 22 juillet 2009, jour de l'arrestation des trois accusés, contenait aussi le passeport d'Hamed et sa confirmation de vol pour Dubaï. Il devait s'envoler le jour même pour un séjour de cinq semaines.
C'est maintenant au tour de la défense de présenter sa preuve.
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