«Star academy», à l'école de la téléréalité
Isabelle Nataf
05/08/2009 | Mise à jour : 12:10
Elton John, Jennifer, Mario et Carine chantant sur le plateau de l'émission le 15 décembre 2001 (de gauche à droite). Crédits photo : SIPA
LES ÉMISSIONS CULTES (22) - Après un démarrage difficile suivi d'un engouement qui a traversé les générations pendant six saisons, le télécrochet de TF1 fait une pause.
Au début des années 2000, la France découvrait une nouvelle forme de télévision, importée de Suède et de Hollande, la téléréalité. M6 avait dégainé la première avec «Loft Story». Le programme avait largement dépassé le cadre d'une émission de télévision et apporté son heure de gloire à la chaîne. Sociologues, psys, critiques, tous y allèrent de leurs analyses et de leurs commentaires. Jusqu'à l'apothéose, la une du Monde.
TF1 se devait de riposter après ce coup de tonnerre. Pour autant, il n'était pas question de refaire un «Big Brother» à la française. Il fallait trouver autre chose et, surtout, apporter une valeur ajoutée, celle de l'effort et du travail, notions totalement gommées dans le «Loft». Les cerveaux de la chaîne se mirent à cogiter, à solliciter les uns et les autres, et ce fut la productrice Alexia Laroche-Joubert, à l'époque chez Endemol, et déjà à l'origine du programme de M6, qui eut l'idée d'un divertissement fedéré autour de la musique en s'inspirant de «Star Maker», diffusé en Hollande. «On a juste gardé le concept, des gamins dans une école qui apprenaient à chanter», explique-t-elle aujourd'hui.
Le principe de «Star Academy» prenait forme, et ce devait être «le programme le plus spectaculaire de la rentrée 2001». Pensez donc, un casting de 100 000 candidats et, à l'arrivée, plus que seize adolescents (huit filles, huit garçons) enfermés dans un château imposant non loin de Dammarie-les-Lys en région parisienne pour apprendre le chant, la comédie, la danse. Le tout sous l'œil de 40 caméras réparties dans le bâtiment et les jardins et sous l'oreille de 70 micros. Une semaine de travail et de préparation, et un seul but pour les «élèves» : réussir leur prestation en direct, en public et en première partie de soirée. Chaque semaine un candidat éliminé et, à la fin, un contrat en or pour le gagnant : une prestation à l'Olympia, l'enregistrement de son propre album et 1 million d'euros. Pour porter ce programme (un sacerdoce durant quatre mois, entre les émissions quotidiennes et les prime-time), un animateur neuf, Nikos Aliagas. Il ne se voyait pas du tout présenter ce genre de divertissement. Lui, il lorgnait plutôt vers l'information et un magazine en deuxième partie de soirée. «Ce n'était pas mon monde habituel, mais mon instinct me disait d'accepter, dit l'animateur. C'était un vrai défi, une nouvelle façon de travailler.»
Un sacré challenge. L'équipe est prête, les candidats sont lancés dans l'arène. Et c'est la catastrophe. L'audience n'est pas au rendez-vous, loin de là, ni à la première émission, ni à la deuxième, ni à la troisième… La sauce ne prend pas, les critiques ricanent, les amis de Nikos Aliagas lui demandent ce qu'il est allé faire dans cette galère. Les téléspectateurs ont l'impression de regarder un «Loft» bis, à tel point que M6 décide de porter plainte pour plagiat. Le paquebot TF1 tangue, il est temps de riposter. «On a mis un moment avant de nous débarrasser des réflexes de pure téléréalité utilisés dans le “Loft” », explique Alexia Laroche-Joubert. Les équipes agitent leurs neurones. Et c'est le déclic. «On a eu l'idée de faire venir des artistes connus et fédérateurs, qui chanteraient avec les candidats, raconte la productrice. Ce fut l'élément déclencheur. L'empathie a commencé à faire son chemin. Les enfants s'identifiaient aux candidats, les parents aux chanteurs. “Star Academy” devenait à la fois une émission de variétés et une émission familiale.»
D'abord des stars françaises, comme Florent Pagny, Johnny Hallyday, Patrick Bruel, Serge Lama, puis internationales, Céline Dion, Madonna, Beyoncé, acceptent de venir sur le plateau de l'émission. Bingo, les scores d'audience s'envolent. Au même moment, le divertissement se détache petit à petit de la téléréalité voyeuse pour se replier sur ses fondamentaux, l'apprentissage d'un métier. L'image d'une école idéale se dessine auprès des jeunes. «Ils sont confrontés à une école où, enfin, on apprend et on travaille pour quelque chose qui plaît, on est heureux d'y être», explique François Jost, sémiologue spécialiste de la télévision. «La discipline est dure, l'effort mis en avant, une notion totalement absente, par exemple, du “Loft”.» On aime ou on déteste les profs, comme dans la vraie vie, et eux aussi ont leurs chouchous. Propulsée directrice, Alexia Laroche-Joubert prend son rôle très au sérieux, distribuant bonnes et mauvaises notes. «Peut-être que j'ai raté ma vocation !» dit-elle aujourd'hui.
Et puis, autre coup de pouce providentiel qui a permis à la «Star Ac» de s'envoler durablement, la perspective de la présidentielle de mars 2002. Les Français ne se reconnaissent pas dans les candidats et ne se passionnent pas pour le scrutin. «Ils ne se sentent pas bien représentés, ils reprochent aux politiques un manque de transparence. Qu'à cela ne tienne. Ils vont voter pour les candidats de la “Star Academy” dans lesquels ils peuvent s'identifier et qui ne leur cachent rien», poursuit François Jost. Ils vont même plus loin, et se défoulent en soutenant les candidats mis sur la sellette par les professeurs. Ainsi Jean-Pascal, électron libre de la première cuvée, chanteur incompétent, trublion manifeste et pas très raffiné, est-il chaque fois «nominé» par les professeurs et chaque fois sauvé par le public… Jeunes et adultes se rencontrent sur ce programme. «L'astuce a également été de réconcilier les générations en faisant chanter à des jeunes des chansons de vieux», conclut François Jost. Dès lors, plus rien n'entrave la route du programme vers le succès. La machine est énorme à faire fonctionner, les prime en direct, des moments de tous les dangers où chacun est sur les dents. «J'ai connu de grands moments de solitude», se souvient Nikos Aliagas. Entre Britney Spears qui n'entendait pas la traduction, un candidat bloqué tout en haut d'un câble, Elton John qui réquisitionne une télé dans sa loge pour voir un match de foot, Ray Charles qui se trompe de côté pour rejoindre les coulisses et qu'il faut rattraper, l'oreillette qui ne fonctionne plus, les Bee Gees qui se décommandent à quelques heures du prime, une candidate, Élodie Frégé, qui tombe dans les pommes, Stevie Wonder arrivant avec une équipe de 80 personnes, Madonna avec 30 personnes, des loges à rajouter… Mais également des moments d'une grande intensité. «Je me souviendrai toujours du cri de la mère de Grégory quand on a annoncé qu'il avait gagné», confie Alexia Laroche-Joubert. «Une réponse de la vie aux difficultés», ajoute Nikos Aliagas. Lui continue de parler de Ray Charles et de Liza Minnelli avec des étoiles dans les yeux.
Et puis, à partir de la sixième édition, la magie s'est peu à peu émoussée. La faute à la concurrence, avec «Nouvelle star» sur M6 ; aux candidats qui, à présent, connaissent toutes les mécaniques du jeu et sont de plus en plus rompus à la scène ; au départ du château, pour s'installer, plus banalement, au cœur de Paris. Jusqu'à cette dernière saison où la guerre entre les profs a définitivement lassé les téléspectateurs, la production, la chaîne et l'animateur, qui a pris un fou rire nerveux en direct face à ces gamineries.
Cette année, il n'y aura pas de nouvelle édition. «Il faut la laisser se reposer», selon Nonce Paolini, PDG de TF1. Les équipes d'Endemol et la chaîne vont travailler pour faire évoluer la formule. Personne ne sait si, un jour, on la reverra. Mais l'aventure de la «Star Ac» restera, dans les mémoires, l'une des grandes réussites de ces dernières années.
HORS ANTENNE - Johnny Hallyday inquiet pour la «Star Ac»
«Allô, c'est Johnny. Qu'est-ce qui se passe sur le plateau de la “Star Ac” ?» Quand Alexia Laroche-Joubert écoute ce message de Johnny Hallyday, le premier d'une très longue liste, sur son portable, elle comprend que sa fin de soirée va être agitée. Ce 18 octobre 2003, elle se trouve à Londres pour assister à une émission et avait éteint son téléphone. C'est la première fois - et ça ne s'est jamais reproduit ensuite - qu'elle n'assistait pas à un prime de la «Star Ac». «Quand j'ai rallumé mon portable, il devait être 23 heures, j'avais une tonne de SMS et de messages dont, en premier, celui de Johnny…»
Alexia Laroche-Joubert apprend alors qu'une délégation d'intermittents du spectacle a fait irruption sur le plateau du divertissement, une gigantesque banderole déployée : «Éteignez vos télés». Nikos Aliagas a tenté de les calmer en leur tendant son micro et, après un moment de flottement, TF1 a décidé de suspendre l'émission durant près de deux heures. Le temps de diffuser un épisode de Julie Lescaut. À 23 heures, le show reprend…
Vincent Panozzo, à l'époque responsable de la «Star Ac'» sur TF1 se souvient : «Il y avait un tel brouhaha sur le plateau qu'on ne s'est pas rendu compte de ce qui se passait. En tout, ils devaient être une bonne centaine dont vingt sont montés sur scène. Ils s'étaient cachés dans un studio proche de celui de la “Star Ac” et ont forcé les portes. Immédiatement, les élèves et les artistes ont été évacués vers les loges, tout comme le public, emmené dans l'espace accueil. De toute façon, plus personne ne pouvait sortir ! Il y a eu des blessés parmi les intermittents et les agents de sécurité.» Un épisode qui, depuis, ne s'est jamais reproduit.
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