Publié : ven. sept. 20, 2013 9:41 am
Publié en février dernier...
On peut trouver une video et le texte d'un discours de Madame Lesbet dans les pages qui précèdent.
Qui a peur de Leila?
Marie-Claude Lortie
La Presse
Leila Lesbet est arrivée à Montréal il y a 12 ans. «Je suis venue ici parce qu'en Algérie, en tant que femme, ce n'était plus possible de vivre.»
Avec mari et enfants, en octobre 2001, Leila s'installe dans la région métropolitaine. Enseignante dans son pays d'origine, elle trouve un emploi ici comme technicienne en éducation spécialisée dans une école. En gros, on lui confie les cas difficiles et son rôle est de désamorcer les crises, de rendre studieux des enfants qui ruent dans les brancards.
Rapidement, elle s'engage aussi dans le mouvement féministe. Militante un jour, militante toujours. Avoir vu son nom affiché dans les mosquées en Algérie, invitant les fidèles à l'assassiner parce qu'elle a organisé des manifestations contre le pouvoir, notamment la marche du 8 mars 1994, n'a pas réussi à la faire taire.
Elle devient membre de la Fédération des femmes du Québec (FFQ). Écrit des lettres d'opinion. S'engage dans les discussions. En 2009, elle se désole de voir la Fédération prendre une position controversée sur le port du voile dans la fonction publique.
La FFQ est pour ce que certains appellent la «laïcité ouverte», donc en faveur du port du voile par les agents de l'État, pour celles qui le veulent. Leila, musulmane, est de celles qui ne veulent pas que l'État ouvre la porte à ce symbole.
Elle est de celles qui trouvent que le voile n'est pas un accessoire ni même un insigne religieux. «C'est un islam que je ne connais pas, même si j'ai grandi avec des parents très croyants, très conservateurs.»
Selon elle, le voile est plutôt un message. Un message de soumission, un message politique qui a cours depuis la révolution iranienne de 1979. Un recul. Dans les pays musulmans, des femmes sont violées parce qu'elles refusent de le porter, rappelle-t-elle. «Ce voile et cette burqa qu'on défend ici sont entachés du sang de toutes les adolescentes et les femmes qui ont voulu dire non.»
Leila va même plus loin. Très loin. «Le voile, c'est notre étoile jaune», dit-elle en faisant référence au tragique symbole utilisé par les nazis pour identifier les juifs. «Je ne peux pas soutenir une oppression, une atteinte à la dignité humaine.»
Leila a des idées qu'on entend peu souvent formulées par des musulmanes, comme elle, sur la place publique. Dans la communauté à Montréal, dit-elle, ses idées sont partagées, mais en privé surtout. Pourquoi? «Nous sommes fatiguées», dit-elle, en parlant de ces femmes musulmanes qu'elle côtoie et qui partagent son opinion, mais qui se démènent pour mener de front travail, famille et intégration à bon port. Monter au créneau demande du temps, un dévouement, une capacité à encaisser les coups, que plusieurs n'ont pas. Tout le monde n'a pas le cran et l'éloquence d'une Djemila Benhabib, auteure de Ma vie à contre-Coran. Se battre est épuisant.
Mais Leila, dont les enfants sont aujourd'hui partis travailler en Europe, a du temps. Et elle tient tellement à ses idées qu'elle voulait les faire entendre à la Fédération des femmes du Québec dans le cadre des états généraux que l'organisme a convoqués afin de déterminer ses orientations politiques pour les 20 prochaines années.
Après avoir participé à certaines activités, dont un colloque en mai dernier, Leila s'est toutefois fait dire par les organisatrices de ce vaste mouvement de réflexion qu'elle n'aurait pas sa place aux «tables» de discussion qui ont cours actuellement en vue du grand forum final de novembre prochain.
«Comportement problématique», lui a écrit la coordonnatrice des états généraux, Alice Lepetit.
En lisant le courriel où c'était annoncé, Leila a cru être de nouveau en Algérie. «Vivre l'exclusion, ici, par des femmes, après ce que j'ai vécu, ce fut pénible», raconte-t-elle. Choquée, elle réplique: «Si j'ai choisi l'exil, ce n'est pas pour accepter, ici au Québec, des agissements de potentats... Qui m'a représentée à ce procès» Alexa Conradi, présidente de la FFQ, était au courant du dossier quand je l'ai jointe jeudi. Son explication: la décision d'exclure deux personnes des tables de discussion - elle n'a pas voulu les nommer, mais il s'agit de Leila Lesbet et de l'anthropologue Michèle Sirois - est liée à des questions pratiques, assure la présidente. «Le comité d'orientation devait veiller à ce que les tables soient fonctionnelles», a-t-elle affirmé sans préciser la nature des problèmes de «fonctionnalité» posés par les deux féministes, dont les opinions sur le voile sont à l'opposé de celles mises de l'avant par la FFQ.
Prive-t-on les états généraux de points de vue importants? D'idées qu'on entend peu en public de la bouche de musulmanes féministes? Pas du tout, réplique Mme Conradi. «Cette voix est déjà présente dans le mouvement des femmes.»
Et puis, dit-elle, il y a encore de la place pour la discussion, des événements publics à venir, de l'espace sur le web pour publier des lettres...
Leila, elle, n'arrive pas à croire que ses idées, son temps, son énergie, sa volonté de participer aient ainsi été mis de côté. «Comment peuvent-elles parler d'inclusion, d'intersection, d'égalité? demande-t-elle. Quelle hypocrisie...»
Bonne question
On peut trouver une video et le texte d'un discours de Madame Lesbet dans les pages qui précèdent.
Qui a peur de Leila?
Marie-Claude Lortie
La Presse
Leila Lesbet est arrivée à Montréal il y a 12 ans. «Je suis venue ici parce qu'en Algérie, en tant que femme, ce n'était plus possible de vivre.»
Avec mari et enfants, en octobre 2001, Leila s'installe dans la région métropolitaine. Enseignante dans son pays d'origine, elle trouve un emploi ici comme technicienne en éducation spécialisée dans une école. En gros, on lui confie les cas difficiles et son rôle est de désamorcer les crises, de rendre studieux des enfants qui ruent dans les brancards.
Rapidement, elle s'engage aussi dans le mouvement féministe. Militante un jour, militante toujours. Avoir vu son nom affiché dans les mosquées en Algérie, invitant les fidèles à l'assassiner parce qu'elle a organisé des manifestations contre le pouvoir, notamment la marche du 8 mars 1994, n'a pas réussi à la faire taire.
Elle devient membre de la Fédération des femmes du Québec (FFQ). Écrit des lettres d'opinion. S'engage dans les discussions. En 2009, elle se désole de voir la Fédération prendre une position controversée sur le port du voile dans la fonction publique.
La FFQ est pour ce que certains appellent la «laïcité ouverte», donc en faveur du port du voile par les agents de l'État, pour celles qui le veulent. Leila, musulmane, est de celles qui ne veulent pas que l'État ouvre la porte à ce symbole.
Elle est de celles qui trouvent que le voile n'est pas un accessoire ni même un insigne religieux. «C'est un islam que je ne connais pas, même si j'ai grandi avec des parents très croyants, très conservateurs.»
Selon elle, le voile est plutôt un message. Un message de soumission, un message politique qui a cours depuis la révolution iranienne de 1979. Un recul. Dans les pays musulmans, des femmes sont violées parce qu'elles refusent de le porter, rappelle-t-elle. «Ce voile et cette burqa qu'on défend ici sont entachés du sang de toutes les adolescentes et les femmes qui ont voulu dire non.»
Leila va même plus loin. Très loin. «Le voile, c'est notre étoile jaune», dit-elle en faisant référence au tragique symbole utilisé par les nazis pour identifier les juifs. «Je ne peux pas soutenir une oppression, une atteinte à la dignité humaine.»
Leila a des idées qu'on entend peu souvent formulées par des musulmanes, comme elle, sur la place publique. Dans la communauté à Montréal, dit-elle, ses idées sont partagées, mais en privé surtout. Pourquoi? «Nous sommes fatiguées», dit-elle, en parlant de ces femmes musulmanes qu'elle côtoie et qui partagent son opinion, mais qui se démènent pour mener de front travail, famille et intégration à bon port. Monter au créneau demande du temps, un dévouement, une capacité à encaisser les coups, que plusieurs n'ont pas. Tout le monde n'a pas le cran et l'éloquence d'une Djemila Benhabib, auteure de Ma vie à contre-Coran. Se battre est épuisant.
Mais Leila, dont les enfants sont aujourd'hui partis travailler en Europe, a du temps. Et elle tient tellement à ses idées qu'elle voulait les faire entendre à la Fédération des femmes du Québec dans le cadre des états généraux que l'organisme a convoqués afin de déterminer ses orientations politiques pour les 20 prochaines années.
Après avoir participé à certaines activités, dont un colloque en mai dernier, Leila s'est toutefois fait dire par les organisatrices de ce vaste mouvement de réflexion qu'elle n'aurait pas sa place aux «tables» de discussion qui ont cours actuellement en vue du grand forum final de novembre prochain.
«Comportement problématique», lui a écrit la coordonnatrice des états généraux, Alice Lepetit.
En lisant le courriel où c'était annoncé, Leila a cru être de nouveau en Algérie. «Vivre l'exclusion, ici, par des femmes, après ce que j'ai vécu, ce fut pénible», raconte-t-elle. Choquée, elle réplique: «Si j'ai choisi l'exil, ce n'est pas pour accepter, ici au Québec, des agissements de potentats... Qui m'a représentée à ce procès» Alexa Conradi, présidente de la FFQ, était au courant du dossier quand je l'ai jointe jeudi. Son explication: la décision d'exclure deux personnes des tables de discussion - elle n'a pas voulu les nommer, mais il s'agit de Leila Lesbet et de l'anthropologue Michèle Sirois - est liée à des questions pratiques, assure la présidente. «Le comité d'orientation devait veiller à ce que les tables soient fonctionnelles», a-t-elle affirmé sans préciser la nature des problèmes de «fonctionnalité» posés par les deux féministes, dont les opinions sur le voile sont à l'opposé de celles mises de l'avant par la FFQ.
Prive-t-on les états généraux de points de vue importants? D'idées qu'on entend peu en public de la bouche de musulmanes féministes? Pas du tout, réplique Mme Conradi. «Cette voix est déjà présente dans le mouvement des femmes.»
Et puis, dit-elle, il y a encore de la place pour la discussion, des événements publics à venir, de l'espace sur le web pour publier des lettres...
Leila, elle, n'arrive pas à croire que ses idées, son temps, son énergie, sa volonté de participer aient ainsi été mis de côté. «Comment peuvent-elles parler d'inclusion, d'intersection, d'égalité? demande-t-elle. Quelle hypocrisie...»
Bonne question