Publié : mar. juil. 29, 2008 6:31 am
Télé-réalité: la fin des illusions
Paul Cauchon
Le Devoir, 29 juillet 2008
Croyez-vous toujours que la télé-réalité consiste à capter la vie réelle du citoyen ordinaire?
Deux événements récents mettront fin à vos illusions. Ces dernières semaines s'est en effet ouverte à New York la première école de télé-réalité. Au programme: cours d'improvisation, techniques de confiance en soi, analyse des relations interpersonnelles et trucs pour attirer la caméra.
Plus fort encore: un avocat français vient d'obtenir une décision d'un tribunal prouvant que la prestation de trois participants à l'émission de télé-réalité L'Île de la tentation s'apparentait à un travail en bonne et due forme, avec heures de travail à fournir, règles à respecter et rémunération.
Résultat: le tribunal a condamné le producteur à verser 23 000 euros à chacun des participants!
Bref, la télé-réalité porte de plus en plus mal son nom. «Elle devrait s'appeler "jeu de rôle"», écrit François Jost, auteur de L'Empire du loft. «Les émissions sont de plus en plus enregistrées et remontées. Elles basculent vers la fiction, la sitcom, le divertissement pur», expliquait-il récemment au magazine français Télérama.
Pour avoir ses 15 minutes de gloire, il faut s'en donner les moyens. C'est ce que s'est dit Robert Galinsky, qui vient d'ouvrir à New York la Reality Television School. «La télé-réalité n'est pas la réalité, confie-t-il à Reuters. Tout est concocté et inventé. C'est un drame improvisé.»
Voilà qui a le mérite d'être franc. Dans le site Internet de l'école, on offre donc un atelier de trois heures, à 139 $, qui propose une session d'improvisation et différents exercices pour développer son «instinct», sa confiance en soi et son originalité, et différentes techniques pour que la caméra ne vous oublie pas, y compris des conseils vestimentaires.
Vous désirez mettre toutes les chances de votre côté? L'école vous offre aussi un atelier de cinq semaines, avec une panoplie de trucs pour réussir à se distinguer dans une émission de télé-réalité, y compris des cours sur «comment faire face à des personnalités différentes autour de soi». Une caméra filme tous les ateliers pendant cinq semaines, afin de vous habituer à sa présence. D'anciens participants à des émissions de télé-réalité et des directeurs de castings viennent répondre à vos questions.
L'histoire ne dit pas si les participants québécois de Loft Story peuvent y apprendre à faire des phrases complètes.
On croit rêver. Mais la Writers Guild of America (WGA), elle, ne rêve pas. Le 16 juillet dernier, elle a protesté auprès du réseau Fox et de l'émission American Idol, en soutenant que les artisans de l'émission (assistants de production, monteurs, etc.) sont exploités.
Selon la WGA, ces artisans doivent créer des scénarios et des dialogues qui s'apparentent à de la scénarisation, sans être reconnus comme scénaristes. Leur façon de travailler violerait donc les lois californiennes du travail.
On ignore si la WGA a rencontré Jérémie Assous. Mais cela ne devrait pas tarder.
Car cet avocat parisien dans la jeune trentaine vient de réaliser un coup fumant: il a obtenu un jugement, confirmé en février dernier par la Cour d'appel de Paris, selon lequel les concurrents de l'émission L'Île de la tentation sont, en fait, des travailleurs.
La filiale de TF1 qui produit l'émission s'est débattue pour contrer ce jugement, faisant valoir, par exemple, que les participants de l'émission venaient vivre une «expérience personnelle». L'expression est même utilisée dans les nouveaux contrats qu'elle fait signer aux participants.
Peine perdue. Me Assous a pu prouver que ces participants doivent suivre des règles, obéir à un patron de production, suivre des indications de mise en scène, rejouer des scènes, tout en étant sous-payés, sans heures supplémentaires ni avantages sociaux. Le tribunal a accepté de transformer le contrat des trois concurrents défendus par Assous en contrat de travail, avec rémunération à la clé.
Jérémie Assous annonçait récemment qu'il entend mener plus de 80 procès similaires cet automne, les anciens candidats de différentes émissions de télé-réalité ayant afflué à son bureau.
En un ultime recours, TF1 a porté la cause en Cour de cassation, qui rendra une décision au début de 2009. Si le haut tribunal confirme le jugement, ce sera la panique chez les producteurs et les diffuseurs. «Intégrer la télé-réalité au droit du travail, c'est, de fait, enterrer la télé-réalité», écrit Télérama.
Remarquez qu'il y aura toujours moyen de faire des profits ailleurs. À New York, la fameuse école de Robert Galinsky a été sollicitée par différents producteurs et réseaux de télévision. Devinez pourquoi? Pour produire une émission de télé-réalité sur son école de télé-réalité...
Paul Cauchon
Le Devoir, 29 juillet 2008
Croyez-vous toujours que la télé-réalité consiste à capter la vie réelle du citoyen ordinaire?
Deux événements récents mettront fin à vos illusions. Ces dernières semaines s'est en effet ouverte à New York la première école de télé-réalité. Au programme: cours d'improvisation, techniques de confiance en soi, analyse des relations interpersonnelles et trucs pour attirer la caméra.
Plus fort encore: un avocat français vient d'obtenir une décision d'un tribunal prouvant que la prestation de trois participants à l'émission de télé-réalité L'Île de la tentation s'apparentait à un travail en bonne et due forme, avec heures de travail à fournir, règles à respecter et rémunération.
Résultat: le tribunal a condamné le producteur à verser 23 000 euros à chacun des participants!
Bref, la télé-réalité porte de plus en plus mal son nom. «Elle devrait s'appeler "jeu de rôle"», écrit François Jost, auteur de L'Empire du loft. «Les émissions sont de plus en plus enregistrées et remontées. Elles basculent vers la fiction, la sitcom, le divertissement pur», expliquait-il récemment au magazine français Télérama.
Pour avoir ses 15 minutes de gloire, il faut s'en donner les moyens. C'est ce que s'est dit Robert Galinsky, qui vient d'ouvrir à New York la Reality Television School. «La télé-réalité n'est pas la réalité, confie-t-il à Reuters. Tout est concocté et inventé. C'est un drame improvisé.»
Voilà qui a le mérite d'être franc. Dans le site Internet de l'école, on offre donc un atelier de trois heures, à 139 $, qui propose une session d'improvisation et différents exercices pour développer son «instinct», sa confiance en soi et son originalité, et différentes techniques pour que la caméra ne vous oublie pas, y compris des conseils vestimentaires.
Vous désirez mettre toutes les chances de votre côté? L'école vous offre aussi un atelier de cinq semaines, avec une panoplie de trucs pour réussir à se distinguer dans une émission de télé-réalité, y compris des cours sur «comment faire face à des personnalités différentes autour de soi». Une caméra filme tous les ateliers pendant cinq semaines, afin de vous habituer à sa présence. D'anciens participants à des émissions de télé-réalité et des directeurs de castings viennent répondre à vos questions.
L'histoire ne dit pas si les participants québécois de Loft Story peuvent y apprendre à faire des phrases complètes.
On croit rêver. Mais la Writers Guild of America (WGA), elle, ne rêve pas. Le 16 juillet dernier, elle a protesté auprès du réseau Fox et de l'émission American Idol, en soutenant que les artisans de l'émission (assistants de production, monteurs, etc.) sont exploités.
Selon la WGA, ces artisans doivent créer des scénarios et des dialogues qui s'apparentent à de la scénarisation, sans être reconnus comme scénaristes. Leur façon de travailler violerait donc les lois californiennes du travail.
On ignore si la WGA a rencontré Jérémie Assous. Mais cela ne devrait pas tarder.
Car cet avocat parisien dans la jeune trentaine vient de réaliser un coup fumant: il a obtenu un jugement, confirmé en février dernier par la Cour d'appel de Paris, selon lequel les concurrents de l'émission L'Île de la tentation sont, en fait, des travailleurs.
La filiale de TF1 qui produit l'émission s'est débattue pour contrer ce jugement, faisant valoir, par exemple, que les participants de l'émission venaient vivre une «expérience personnelle». L'expression est même utilisée dans les nouveaux contrats qu'elle fait signer aux participants.
Peine perdue. Me Assous a pu prouver que ces participants doivent suivre des règles, obéir à un patron de production, suivre des indications de mise en scène, rejouer des scènes, tout en étant sous-payés, sans heures supplémentaires ni avantages sociaux. Le tribunal a accepté de transformer le contrat des trois concurrents défendus par Assous en contrat de travail, avec rémunération à la clé.
Jérémie Assous annonçait récemment qu'il entend mener plus de 80 procès similaires cet automne, les anciens candidats de différentes émissions de télé-réalité ayant afflué à son bureau.
En un ultime recours, TF1 a porté la cause en Cour de cassation, qui rendra une décision au début de 2009. Si le haut tribunal confirme le jugement, ce sera la panique chez les producteurs et les diffuseurs. «Intégrer la télé-réalité au droit du travail, c'est, de fait, enterrer la télé-réalité», écrit Télérama.
Remarquez qu'il y aura toujours moyen de faire des profits ailleurs. À New York, la fameuse école de Robert Galinsky a été sollicitée par différents producteurs et réseaux de télévision. Devinez pourquoi? Pour produire une émission de télé-réalité sur son école de télé-réalité...