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Quand la justice fait de l'humour avec "Secret Story"
Toutes les décisions de justice ne sont pas ennuyeuses à lire... Avec la télé-réalité, les magistrats ne manquent pas d'humour.
On peut avoir fait l'École nationale de la magistrature à Bordeaux et avoir aussi une mention "très bien" à l'école du rire. Le juge Joël Boyer, vice-président du TGI de Paris, en fait la démonstration à travers la décision en référé rendue le 1er juin 2011. Le litige qu'il avait à trancher prêtait en effet à sourire puisqu'il était question d'une "sex-tape" entre deux anciens candidats de Secret Story, émission de télé-réalité de TF1... Une demoiselle "E" en voulait à la société Oops, éditrice du magazine Entrevue qui avait fait ses choux gras de la relation houleuse entre mademoiselle "E" et monsieur "L". Ce dernier avait vendu la vidéo de leurs ébats et Entrevue, pour illustrer son article, en avait tiré quelques clichés concernant l'anatomie de mademoiselle "E"...
Le juge Boyer commence par décrire ce qu'est Secret Story : "E et L sont deux intrépides aventuriers de la médiatisation télévisée ayant illustré les meilleures heures du programme de télé-réalité intitulé par anti-phrase Secret Story (saison 3), où il n'y a ni secret ni histoire, mais cependant une observation des faits et gestes des jeunes gens qui y participent sous l'oeil des caméras, où le téléspectateur finit par s'attacher aux créatures qu'il contemple, comme l'entomologiste à l'insecte, l'émission ne cessant que lorsque l'ennui l'emporte, ce qui advient inéluctablement, comme une audience qui baisse."
Morandini "comme un coucou dans le nid des autres"
Puis il enchaîne le deuxième attendu : "Mais un seul être vous manque et tout est dépeuplé. Alors, sevrés du programme télé qui s'achève, les aficionados se ruent sur les gazettes, sûrs qu'elles sauront entretenir aussi durablement que possible le feuilleton du rien, passion toujours inassouvie des sociétés contemporaines. Les cobayes, trop heureux de voir quelques flashs qui crépitent encore et désormais adeptes de l'exposition de soi, courent de l'une à l'autre, comme un canard sans tête, accordant interviews ou posant pour des photos. Les publications que de telles moeurs font vivre s'en offusquent quand le ciel menace et dénoncent quelquefois la règle du jeu, comme des enfants qui ergotent pour ne jamais se séparer." Le juge précise alors que le magazine Entrevue a publié, en juillet 2010, un dossier intitulé "Comment E et L vendent leur vie privée" avec pour sous-titre "E et L réduits à faire une sex-tape". "L'indignation fut à son comble", commente le juge, avec ironie.
Les attendus du jugement détaillent alors l'enchaînement fatal : "Jean-Marc Morandini, journaliste spécialisé dans le potin télé, comme un coucou dans le nid des autres, invita successivement sur la chaîne Direct 8 E, appelée avec délicatesse à s'expliquer sur les faits révélés par Entrevue, laquelle pleura et s'en vint, puis L, qui nia se trouver à l'origine de la vilenie, mais resta. Le démenti du démenti ne devait pas tarder. Jean-Marc Morandini, rédacteur d'articles pour le magazine Entrevue, assura en effet sur la chaîne NRJ 12 que le mensuel avait acheté la vidéo (...) pour la bagatelle de 5 000 euros à un personnage qu'il devina l'ami de L, lequel avait entre-temps engagé un procès civil à la société éditrice d'Entrevue en ne réclamant rien d'autre que le prix de l'honneur, soit un sou de l'Europe que la rumeur tint pour le denier de Judas."
Le "flou hamiltonien" d'une fellation
Entrevue, pour sa défense, invoque l'illustration légitime d'un fait d'actualité. "Mais ce moyen, aussi exquis soit-il, ne saurait tout à fait emporter la conviction du juge de l'évidence, s'agissant de photographies de cette nature, dont la publication par le magazine Entrevue a été sanctionnée civilement comme caractérisant une atteinte à la vie privée et au droit à l'image", poursuit le juge Boyer.
"C'est vainement enfin que la société éditrice plaide la délicatesse au motif que le petit format de la reproduction de la double page d'Entrevue ne permettait à quiconque de reconnaître E, dont le visage a été de surcroît très légèrement flouté sur les deux vignettes la montrant pratiquant une fellation, son identité étant livrée au public, les photographies la rendant parfaitement reconnaissable, y compris les deux clichés au flou hamiltonien où on la devine face caméra. Aussi est-ce la main tremblante mais sans remords que les deux atteintes à la vie privée et au droit à l'image seront retenues", conclut-il.
Des articles monnayés
C'est ici que le juge amorce un virage sur l'aile. Il retient que mademoiselle E a coutume de vendre à Entrevue des interviews monnayées où il est souvent question de sa relation avec monsieur L. Chose, dont il est convaincu par le fait que la revue Entrevue produit les factures... Et le juge Boyer d'avancer que Melle E aurait vendu un sujet dit "arrangé" au même magazine sous le titre "E trompée par L", "ce qui convainc qu'elle ne craint nullement la publicité faite à un coup du sort relevant ordinairement de la sphère protégée de la vie privée", ajoute-t-il. Deuxième fait troublant : Melle E aurait également vendu à Entrevue un sujet paru - circonstance aggravante, après la parution des photos de la sex-tape - dans un article intitulé "E mêlée à un trafic de drogue". "Ce qui atteste qu'aucune des deux parties n'est rancunière. Le juge ne l'est pas plus à l'égard d'entre elles, mais il a un exigeant métier qui le retient quelquefois à de plus amples tâches. Il réparera ce qui est réparable en allouant à Melle E un euro à titre de dommages et intérêts", tranche-t-il en refusant le remboursement des frais de justice.
Mademoiselle E se contentera donc "du sou de l'Europe" là où elle réclamait 20 000 euros avec publication sous astreinte de 10 000 euros par numéro de retard et 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.