J'ai beaucoup hésité avant de me décider à répondre à ce sondage et à élaborer une réponse plus détaillée que simplement ''pour'' ou ''contre''. La raison est que le sujet me tient beaucoup à coeur, peut-être un peu trop même, et que son aspect épineux risque de me faire basculer dans un débat pour lequel je n'ai pas la moindre envie d'investir temps et énergie. Je me connais, je sais que cela touche une corde sensible chez moi (comme il risque, par ailleurs, de solliciter une corde sensible chez d'autres) et je me doute que cela risque de m'impliquer un peu trop émotivement à mon goût. Donc, je vais me contenter d'expliquer mon point de vue, personnel il va sans dire, mais je vais probablement m'y limiter bien que je vais sans doute revenir lire ce sujet de temps à autres, pour suivre l'évolution des choses.
Je suis profondément contre cette Charte, telle qu'elle nous a été présentée par les médias. Je la trouve discriminatoire. En fait, outre son aspect inutile (dans la mesure où les ''droits'' qu'elle prétend vouloir protéger sont déjà garantis par la Charte canadienne et la Charte québécoise des droits et libertés), elle contrevient même à des principes fondamentaux qu'énoncent ces deux chartes.
Charte canadienne des droits et libertés
2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :
a) liberté de conscience et de religion;
b) liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;
c) liberté de réunion pacifique;
d) liberté d’association.
Plus qu'une réaction outrée de ma part, je pense que cette Charte suscite avant tout, chez moi, un malaise profond. Parce que malgré tout, je trouve tout à fait normal et légitime qu'une société, voyant ses repères changer et évoluer avec le temps, se questionne sur son rapport à ces nouvelles réalités. Ce n'est pas tant le débat, les questions, les remises en question même, que je n'approuve pas. C'est la réaction intransigeante de l'État qui m'horripile.
Il y a eu beaucoup d'interventions, éditoriaux cette semaine dans La Presse qui dénonçaient cette Charte et avec lesquels j'étais entièrement en accord. J'oublie donc qui disait que le gouvernement ne voulait pas promouvoir la laïcité, mais l'athéisme, et je suis entièrement d'accord. La laïcité de l'État en matière de religion, comme le conçoivent plusieurs sociologues (y compris Micheline Milot qui a rédigé plusieurs articles et petits ouvrages très intéressants sur la question) se présente comme un gouvernement détaché d'une institution religieuse et qui fait preuve de neutralité, ce qui signifie :
qui ne prend pas partie pour une religion (ou non-religion !) en faveur d'une autre : c'est un État qui les considère sur un même pied d'égalité, pour que les citoyens qui se réclament des différentes religions se voient garantir les mêmes droits fondamentaux au sein de la société. Alors que cette Charte, en voulant effacer les signes religieux de la fonction publique, voire de la sphère publique, propose un modèle qui n'a rien à voir avec la ''laïcité'' dans cette perspective. Elle favorise un ''athéisme de fait'' en prenant partie pour elle, aux dépens des autres religions (cachez ce sein, pardon cette religion qu'on ne saurait voir) ; ce n'est pas faire preuve de neutralité. Et encore si c'était vrai, qu'on cherchait à être neutres et objectifs : mais on veut conserver le crucifix à l'Assemblée nationale ?! Si les tenants de cette Charte veulent faire croire qu'ils agissent par souci de neutralité, qu'ils aillent jusqu'au bout de leur effort et qu'ils soient véritablement équitables envers tous. Car voilà où je trouve que la Charte ajoute à l'odieux : sous prétexte de neutralité, mais de patrimoine identitaire, on voudrait que la religion catholique, ''ah mais aussi peut-être quelques chrétiens protestants, et bon, les Juifs tiens ... mais pas plus que ceux-là par contre !'' se voient accorder une reconnaissance supérieure aux autres. Équité ?! Ça ne devrait pas aussi figurer parmi nos valeurs fondamentales ? Mais je m'égare...
Tout cela me met profondément mal à l'aise. Mal à l'aise de voir que des Québécois pourraient être considérés comme des citoyens de seconde zone en raison de leur religion. Mal à l'aise de voir que des hommes et des femmes bien intégrés dans notre société, actifs dans notre société et actifs dans notre économie, aient à choisir entre leur carrière et leur religion. Mal à l'aise que cela soit perçu comme un choix évident et facile dans notre société sécularisée, alors que c'est loin d'être le cas pour qui a, sincèrement et profondément la conviction que la religion fait partie intégrante de son identité ; identité d'homme, de femme, et oui, de Québécois(e). Or, ce n'est pas à nous de juger qu'ils ont tort. L'identité est loin d'être univoque. C'est une réalité complexe qui se prête mal à des définitions d'ensemble. Surtout, je suis très mal à l'aise de l'éternel discours manichéen qui oppose le ''nous'' et le ''eux''. J'ai du mal à me sentir incluse dans ce ''nous'', d'ailleurs. Je suis convaincue qu'un État démocratique doit absolument préserver la liberté de conscience de chaque individu, et cette liberté de conscience, n'en déplaise au PQ, passe par la liberté de religion et d'expression de cette religion dans l'espace public, au même titre que la politique, l'orientation sexuelle (ex.: drapeaux de la fierté gaie), les écoles de pensée économique, les causes environnementales, etc. Parce que tous ces éléments sont inextricablement liées à l'identité d'un individu, et qu'on ne peut en retirer un seul sans que cela ne contrevienne aux droits et libertés individuelles et collectives.
Est-ce que les différents lieux de travail peuvent réfléchir et suggérer des balises ? Certainement. Rejeter l'idée de la Charte, ce n'est pas rejeter toute forme de questionnement ou de réflexion pour autant. Est-ce que la solution passe par l'éradication de tout signe religieux, de tout ''accommodement'' qui relève de la réalité religieuse ? Je ne le crois pas. D'ailleurs, je pense qu'il ne faudrait jamais perdre de vue que pour 1 ou 2 accommodements déraisonnables qui font la manchette, il doit y en avoir des dizaines de raisonnables qui se passent très bien et sans faire de vagues. Ce sont des cas isolés qui ont été moussés par le sensationnalisme. L'extrémisme ne se limite pas aux religions des ''autres'', je trouve que cette Charte représente d'ailleurs très bien ce fait (malheureusement) ; car oui, pour moi cette Charte est une solution extrême, vu la proportion de problèmes ''réels'' qui existent actuellement. Extrême parce qu'elle stigmatisera une partie de la population qui pourtant, faisait son bout de chemin au Québec sans se heurter à ''nos'' valeurs - même qu'elle les intégrait sans doute très bien.