Pour ceux qui pensent que le policier aurait du tirer dans les jambes, je vous laisse cet article pour votre culture personnelle.
Permis de tuer
Tuer n’est pas jouer
Ils rêvent d’action, carburent à l’adrénaline, adorent filer à toute vitesse dans leur voiture de service à la poursuite des bandits. Mais sortir leur arme et abattre l’un d’eux? La vie, la vraie, n’est pas une série télé. L’expérience laisse des marques qu’ils emportent dans leur tombe.
par Marie-Hélène Proulx
Magazine Jobboom
Vol. 9 no. 7
août 2008
C’était une douce soirée d’été. Un quart de travail comme tant d’autres dans la vie de Michel, sergent à la Sûreté du Québec depuis 30 ans. Contraventions, chicanes de voisins, jeunes fêtards troublant la quiétude d’un parc. Le pain quotidien du policier, quoi.
Un calme plat insuffisant pour lui faire oublier une mise en garde reçue lors de sa formation, en 1975 : chaque intervention policière est une boîte à surprises. On ne sait jamais de quoi le clown à ressort est capable.
Ce soir-là, Michel reçoit un appel d’un autre corps policier. Ils ont besoin d’aide pour rattraper un fuyard qui menace de tuer sa copine, et qui roule à vive allure en direction de chez elle. Casier judiciaire aussi épais que le Code criminel, sans doute armé et dangereux.
Michel se lance à sa poursuite en voiture, avec d’autres collègues. Une barre à clous jetée en travers du chemin et une collision forcée réussissent à l’immobiliser. Michel sort de son véhicule pour arrêter le suspect, barricadé dans sa voiture. Mais voilà qu’à travers la vitre teintée, il l’aperçoit qui pointe un revolver dans sa direction. Quelques mètres à peine les séparent.
«J’ai sorti mon arme à feu et je lui ai crié de lâcher la sienne. Il n’obtempérait pas. Je ne pouvais me permettre de réfléchir longtemps sur ses intentions : plus tu attends, plus tu vois un être humain. Un jeune homme de l’âge de ton fils, peut-être. Et tu commences à hésiter… Or, ma vie était en danger.»
Il a fait feu. Sur une vraie personne, pour la première fois de sa carrière. Une énorme poussée d’adrénaline s’est manifestée au moment d’appuyer sur la gâchette. Mille fois plus intense que celle qu’il éprouve lorsqu’il traverse la ville dans son «char de police», à 200 km/heure. «C’était si puissant que je n’entendais pas les coups de feu. J’ai même cru que mon arme ne fonctionnait pas.»
Pourtant, l’homme a reçu 20 balles dans le corps, a révélé l’enquête… Tirées par Michel, mais aussi par des collègues policiers venus à sa rescousse.
C’est toi ou c’est moi
Une telle réaction physiologique est commandée par l’instinct de survie, affirme Jacinthe Thiboutot, une psychologue qui a enseigné pendant 7 ans aux apprentis policiers du cégep Ahuntsic, et qui a fait plus de 150 heures de patrouille en vue de la rédaction de son ouvrage Gestion de stress et travail policier (Groupe Modulo, 2000).
Quand un policier tire, son rythme cardiaque peut grimper jusqu’à 160 battements par minute, tandis que sa motricité fine, ses perceptions et ses sens se modifient. «Certains perdent l’ouïe temporairement, sans doute pour permettre à d’autres sens d’être plus aiguisés, comme la vue, explique-t-elle. D’autres développent une vision en tunnel, centrée sur un seul détail. Le reste est plongé dans le brouillard.»
On est loin des policiers dans les films américains, l’air cool dans leurs vêtements griffés, avec le petit mot d’esprit à la fin pour détendre l’atmosphère. «Dans la vraie vie, il y en a qui font dans leur culotte!», soutient Jacinthe Thiboutot.
Quand ils ne paralysent pas totalement. «Tuer est un acte contre nature, sauf si on est un psychopathe, dit Bruno Poulin, un expert-conseil en emploi de la force rencontré à l’École nationale de police (ENP), à Nicolet. À preuve : bien des policiers confrontés à des gens qui les menacent meurent en service parce qu’ils ont été incapables de tirer.»
D’ailleurs, pendant leurs cours de tir, des élèves se mettent à pleurer ou suent à grosses gouttes. «Souvent, ils n’ont jamais touché ni même vu une arme à feu de leur vie, observe Rémi Ménard, instructeur en tir à l’ENP. Ça les rend très nerveux. Et encore, ils tirent sur des cibles en carton… Imaginez ce que ça fait quand on est réellement face à quelqu’un!»
Les apprentis policiers québécois ont beau recevoir une des plus longues formations en techniques policières au monde, rien ne peut vraiment les préparer à tuer, soutient Pierre Saint-Antoine, directeur des communications à l’ENP.
«Ils font des mises en situation avec des comédiens. Ils ont des cours de tir. Ils absorbent le contenu de 3 500 pages de lois et de codes de déontologie. Mais au bout du compte, leur carrière, et parfois même leur vie, tient à leur capacité à prendre la bonne décision en une seconde. Tout repose sur leur jugement. Hélas! Le jugement ne se vend pas en bouteille.»
Réécrire l’histoire
Avoir pris la bonne décision. C’est l’obsession la plus courante chez les policiers et les militaires qui se retrouvent au Centre CASA, une maison de thérapie dans la région de Québec spécialisée dans la guérison du stress post-traumatique et les problèmes de dépendance.
«Certains sont rongés par les remords, observe Lynda Poirier, directrice de l’établissement. Ils se demandent comment ils auraient pu éviter de tuer. Ils réécrivent leur histoire avec un paquet de “si” : si j’avais fait ou pensé à ça, si je m’étais aperçu de…»
Donner la mort est totalement à l’opposé de la mission des policiers, même si le code criminel leur permet d’utiliser la force mortelle lorsque nécessaire. «Les policiers sont conditionnés à protéger la vie, explique Jacinthe Thiboutot. Quand ils utilisent leur arme, beaucoup ont un choc de valeurs, car ils se retrouvent tout à coup dans la position du tueur, celui-là même qu’ils doivent envoyer derrière les barreaux.»
La psychologue se rappelle d’ailleurs le cas d’un policier rencontré dans le cadre de son enquête de terrain sur la gestion de stress. «Il avait dû tirer sur quelqu’un. Il ne l’avait pas tué, mais il l’avait blessé. Et tout ce qu’il pouvait répéter, penché sur lui, c’était : “Mon dieu, les médecins vont-ils réussir à le sauver?” Il en prenait soin autant que les ambulanciers.»
Ce sentiment de culpabilité peut être exacerbé par la longue enquête que subit systématiquement chaque policier mis en cause dans un incident impliquant une arme à feu ou mort d’homme.
Cette enquête s’est révélée l’un des pires souvenirs de Michel. Quelques minutes après qu’il eut abattu le suspect dans sa voiture, des enquêteurs sont arrivés sur place et lui ont demandé de leur remettre son arme, selon la procédure habituelle.
«J’ai eu l’impression qu’on m’arrachait le cœur, raconte-t-il, les yeux humides. Ça fait 30 ans que je porte mon arme à feu. C’est le symbole de mon métier. J’ai eu peur de ne jamais reprendre du service». L’enquête l’a exonéré de tout blâme.
Être dépossédé de son arme à feu est très humiliant pour un policier, explique Jacinthe Thiboutot. «C’est l’image d’invulnérabilité et de contrôle qui s’écroule, une image si importante aux yeux de ceux qui exercent ce métier. La police, c’est la dernière instance, celle qui trouve des solutions quand tout va mal.»
L’expérience est encore plus affligeante pour l’estime de soi quand le policier vient de tuer. «Il a déjà le sentiment d’avoir perdu le contrôle, puisqu’il a éprouvé dans sa chair une des plus grandes peurs qui soit : celle de mourir.»
Un nombre très restreint de policiers auront à donner la mort au cours de leur carrière. À peine 2 ou 3 % des 14 000 policiers du Québec, selon une évaluation approximative de Jean-Guy Dagenais, président de l’Association des policiers provinciaux du Québec (il a été impossible d’obtenir des chiffres officiels à ce sujet au ministère de la Sécurité publique).
Quelque temps après cet événement dramatique, un policier est venu voir Michel. «Il m’a dit : “T’es rendu dans le club maintenant. Le club de ceux qui ont tué.” C’est bizarre, mais ça m’a fait un petit velours. Parce que je sais que ça prend du courage pour faire ce que j’ai fait. Un courage que très peu de policiers auraient eu.»
Reste qu’il se serait bien passé de cette épreuve. «J’ai beau ne ressentir aucun remords vis-à-vis de l’homme que j’ai tué – c’était un batteur de femmes, pas un innocent! –, j’ai beau être certain d’avoir agi correctement, la scène continue de me hanter. Parfois, je suis en train de tondre ma pelouse un samedi matin, et j’ai des flashbacks. Ça laisse des séquelles psychologiques qui ne guériront jamais vraiment.»
Tuer n’est pas jouer.
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